Histoire de la famille de Thy et du château de Lacour
(Transcription du manuscrit d'Emmanuelle de Thy)
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Chapitre 2 Une
terre familiale Le
texte qui nous est transmis par l'abbé Baudiau indique donc l'identité
de deux possesseurs de Lacour entre 1367 et 1406. " La
terre de Lacour, mouvante du duché du Nivernais, à l'exception d'une
partie dite libre qui relevait du marquisat d'Epoisses, était une
seigneurie en toute justice, ayant titre de baronnie. Elle appartenait
en 1367 à Jean de Sainte-Croix, chevalier qui en donna dénombrement la
même année à la chambre des comptes de Nevers. Catherine de Cousant
reprit le fief en 1406." Jean
de Sainte Croix appartient à une ancienne et puissante famille, celle
des Antigny-Sainte-Croix, famille qui est éteinte actuellement, sauf le
rameau de la famille de Vienne qui en est issu. La famille d’Antigny,
seigneurs de Sainte Croix, relève des premiers cercles de la noblesse
du royaume et forme des alliances avec des filles ou des cadets des
comtes de Nevers ou des ducs de Bourgogne. C’est
d’ailleurs pour cette raison que leur généalogie est connue et que
l’on peut la retrouver, en particulier sur Internet. Le berceau de la
famille de Sainte Croix se trouve à quelques kilomètres au sud de
Louhans. A l'époque qui nous occupe, les familles cousines de Vienne et
de Sainte-Croix sont possessionnées en Bourgogne d’Empire ou
Franche Comté, sur la rive gauche de la Saône. Ses membres servent le
duc de Bourgogne car la Franche Comté, qui relève du Saint Empire,
appartient depuis 1330 au duc de Bourgogne qui est devenu comte de
Bourgogne à cette date. On
voit Jacques de Vienne, seigneur de Longwy-sur-Saône, missionné par le
duc de Bourgogne pour
régler à un chef de Compagnie la somme convenue pour ses
services. Celui-ci, "Nicolas
de Traulvort", est en 1360 un routier anglais qui a été soldoyé
par le duc de Bourgogne . « A
mons. Jaque Vienne, seigneur de Louvy, pour deniers à lui paiez, par
vertu des lettres de mon dit seigneur (le duc), données le VIè jour
de septembre CCCLX, les quels il avait prêté à mon dit seigneur,
pour les rendre à mons. Nicole de Traulvort, auquel mon dit seigneur
les devait, pour ce qu’il en était demeuré pour lui envers la
Grande Compagnie, à laquelle il était dû pour remise de plus grande
somme, et lettre de reconnaissance du dit mons., Jaque, données le XIè
jour de septembre CCCLX,
IIIIcXLVI florins. [1]»
Jean
de Sainte-Croix, qui va à Nevers[2]
faire aveu et dénombrement de sa terre de Lacour à la Chambre de
Comptes, est seigneur de Savigny-en-Revermont, dans le Jura et semble,
comme son cousin et pour les mêmes raisons, au service du duc de
Bourgogne. Jean
de Sainte-Croix doit « panrre (prendre) la forte maison de
Beire[3],
en suivant la terre appartenant à ladite maison, et icelle mettre en la
main de mon dit seigneur[le duc de Bourgogne]
pour certaines et justes causes »[4])
Jean
a mené à bien sa mission : le capitaine brigand sera arrêté, exécuté
et ses biens seront confisqués pour cause de trahison.
Généalogie Dans
la seconde moitié du XIIe siècle Adèle de Nevers, petite-fille de
Guillaume III de Nevers mort en 1161, et fille de Guy, comte de
Tonnerre, épouse Renaud, comte de Joigny. Sa petite-fille, Jeanne de
Joigny, épouse Guillaume d’Antigny seigneur de Sainte Croix vers
1240. Parmi leurs petits-enfants, on relève Etienne de Sainte-Croix,
seigneur de Savigny-en-Revermont[5],
qui épouse Béatrice de Joinville. Jean
de Sainte Croix, seigneur de Savigny-en-Revermont, né vers 1320, est
le fils ou petit-fils d’Etienne de Sainte-Croix, descendant par les
femmes du comte de Nevers. On ne sait évidemment pas si Lacour a fait
partie de biens transmis depuis fort longtemps par succession ou dot
des filles depuis le mariage d’Adèle de Nevers ou si Jean de
Sainte-Croix, évoqué par plusieurs textes à cette époque, en a
fait l’acquisition à ce moment là. Les
contemporains parlent de « Jean de Sainte Croix, seigneur de
Savigny-en-Revermont, époux d’Alix de Verdun ». (Verdun
sur le Doubs, Jura, arrondissement de Dôle 567 habitants.)
Ce mariage peut avoir eu lieu autour de 1350. Au moins deux
enfants en sont issus : Jean de Sainte Croix, mort sans
descendance et Jeanne, dame de Savigny-en-Revermont après la mort de
son frère.
Jean
de Sainte Croix, descendant du
comte de Nevers par les femmes, est donc en possession de Lacour. Nous
avons vu qu'il est seigneur d'un village du Jura, mais qu'il a une
activité dans la région au service du duc de Bourgogne dès 1360. A
cette date, c'est le roi de France, Jean le Bon qui administre la
Bourgogne pour le compte du duc de Bourgogne qui est encore mineur.
Celui-ci mourra sans descendance en 1361 et Jean le Bon se proclame héritier
de la Bourgogne, la donnant en apanage à son dernier fils, Philippe le
Hardi. Cependant Jean le Bon est mort en 1364 et le nouveau roi, Charles
V, aidé de son frère, Philippe le Hardi, devenu duc de Bourgogne, va
tenter d'éradiquer les routiers. Au moment où est cité le
premier nom d'un possesseur de Lacour, le roi Charles V et le duc de
Bourgogne s'emploient
activement à mettre fin aux
activités et aux méfaits des Grandes Compagnies qui sévissent
en Bourgogne et en Nivernais depuis la paix de Brétigny.
La
procédure d’aveu et dénombrement se pratique lorsque le propriétaire
d’une terre vient d’en hériter ou de l’acquérir. Il n'est pas
exclu que Jean de Sainte Croix, chevalier qui fait aveu et dénombrement
à la Cour des Comptes de Nevers à cette époque, en ait hérité à
une date antérieure, mais qu'il n'ait pu faire valoir ses droits. Cela
peut confirmer que sa terre était aux mains des Compagnies de
Cervole dont la mort en 1366 permettra au roi et au duc de Bourgogne de
reprendre en main le royaume. Il
faut savoir qu'il existe à Lacour une petite construction fortifiée
qui date du XIVème siècle, dotée d'un oratoire et de deux pièces
adjacente avec de belles cheminées. Cet ensemble est intégré au reste
de la grande ferme de Robert de Thy qui est plus récente. Lacour semble
avoir toujours été un très petit village et la co-existence de deux
maisons seigneuriales y paraît improbable puisque le village
appartenait à un seul propriétaire, Jean de Sainte Croix qui en fait
aveu et dénombrement à Nevers. Le
texte de 1631, déjà cité indique : "Tous
les sujets de la baronnie, ceux de Juillenay, en partie, du Fourneaux,
comme retrayants de cette maison forte, étaient tenus au guet-et-garde,
aux réparations des fossés, du pont-dormant, des barrières… S'étant
refusés à ce devoir en 1631, ils y furent contraints l'année suivante
par un décret du parlement".[6].
La
question qui se pose est celle de savoir de quelle maison-forte il
s'agit car si l'ancienne maison-forte s'est trouvée ruinée du temps de
la Ligue vers 1570, elle peut difficilement être utilisée pour "guet
et garde" en 1631. Il est plus probable que le petit château
de Robert était entouré de fossés, fossés qui ont été comblés par
la suite et que c'est pour la garde et l'entretien de cette
maison-forte, encore citée comme fonctionnelle en 1631, que les
habitants du village étaient réquisitionnés.
Arnaud
de Cervole a été tué près de Mâcon au printemps 1366 et les forces
de l'ordre reprennent la main après sa mort. On peut donc supposer que
les routiers qui occupaient la maison forte de Lacour en ont été
délogés après la mort de Cervole et que la forteresse a été rasée
ou démantelée par ordre du duc de Bourgogne, ce qui constituait le
mode d'opérer le plus courant. En 1367 Lacour est désormais vidé de
ses occupants indésirables et Jean de Sainte Croix peut prendre
possession du domaine. Mais
l'ancienne maison forte a été démolie et Jean de Sainte-Croix,
seigneur du village, doit en faire reconstruire une autre. Il est sans
doute à l'origine de cette construction du XIVème siècle. On peut
aussi penser que l'emplacement choisi pour cette nouvelle construction
ne l'a pas été au hasard et qu'elle a été bâtie sur les
soubassements de l'ancienne villa gallo-romaine dont la ruine définitive
n'était peut-être pas extrêmement lointaine.
Aucun texte n'évoque l'existence à Lacour d'une
maison-forte d'importance jusqu'à la construction du château actuel,
sans doute parce qu'il ne restait que les fondations et peut-être les
écuries de la maison-forte primitive. Le seigneur du lieu, lorsqu'il
venait sur sa terre, s'installait
donc dans l'actuelle maison de Robert. Mais la construction d'une
demeure seigneuriale ne date pas du temps de la Ligue puisqu'elle
remonte au XIVème siècle.
Jeanne,
dame de Savigny-en-Revermont, épousera Guillaume de Luyrieux. Le
fils né de ce mariage se nomme
Humbert de Luyrieux,. Ce dernier a eu une fille unique, Alix de Luyrieux
qui apporte Lacour comme élément de sa dot lors de son mariage avec
Pierre de La Baume. On peut donc retrouver les possesseurs de
Lacour, au travers de leurs alliances matrimoniales, de manière
relativement précise à partir de Jean de Sainte Croix, de façon plus
aléatoire pour la période antérieure. Note
: Le terrier de Lacour Inventaire
des archives déposées à Dijon en 1997
: Numéro
d'entrée : 6276 Cotation
: fonds non coté
Dates
extrêmes : 1445-1929
n°l
: 1615-1660 (manquent les dossiers 1-3, 1344?-!615?)
n°11
Comptes (cahiers), 1445-1645 : n°14
Pièces rassemblées {dont plans) comme justification de droits par
Anne Augustine Espiard
pour conserver les terres de son domaine sous la Révolution, 1506-an
III mauvais état. Terrier
de Lacour Le
relevé de l'inventaire indique 1445 comme date extrême, puis, à la
ligne suivante, celle de 1344. Comment
sait-on que ces dossiers manquent et d'où viennent les dates de 1344
et de 1445 ? D'après
le n° 14, le terrier de la propriété de Lacour remonte à 1506,
avant le mariage de Marc de La Baume avec Anne de Châteauvillain en
1508, mais ne donne pas d' indications sur l'époque précédente. C'est
Courtépée qui indique, juste avant la Révolution que c'est la
famille de La Baume qui en était propriétaire de 1445 à 1599 .
Courtépée ne parle ni d'Alix de Luyrieu, ni de Catherine de Couzan,
ni de Jean de Sainte Croix et si Baudiau peut les citer, c'est que son
informateur a en main un papier qui l'indique. Il
est exclu en effet que l’ abbé Baudiau ait eu le temps de déchiffrer,
à propos de chacune des propriétés qu’il décrit, la montagne de
documents que constituait le « terrier » ou titres
de propriété de chacune d’elles. Ce « terrier »
représentait, avant la création du cadastre par Napoléon, la
justification de la propriété d’une terre . Après la création
du cadastre, l’usage de ces terriers a été abandonné ;
ils ont pris le statut de documents privés et de papiers familiaux.
On
peut donc penser que Baudiau s’est fait éclairer par chaque propriétaire
sur l’histoire des lieux évoqués dans son livre sur le Morvan. Le
complément des renseignements sur l’histoire du château de Lacour
a certainement été dictée à Baudiau par le propriétaire du château
à l'époque où il rédige son ouvrage. Il s'agit donc de Henri de
Thy qui avait manifestement étudié les documents[7]
qui constituaient ce « terrier ». Le fait est
qu’il a reconstitué avec le plus grand soin, à partir des pièces
de ce « terrier », la chaîne des propriétaires
successifs de Lacour. A
noter que les archives de Nevers ont brûlé lors de la révolution et
que ce n’est que dans ces papiers de famille en forme de terriers
que l’on peut retrouver une partie de l’histoire du Nivernais. Cependant
ces détails qu' apporte Baudiau ne sont pas corroborées par un
document accessible aujourd'hui. La mention d'un Jean de Sainte-Croix,
d'une Catherine de Couzan et d'Alix de Luyrieux ne peut pas avoir été
inventée, mais elle est très brève et peut avoir un support minime,
peut-être une note, rédigé par Pierre de La Baume vers 1445, sur
une feuille volante. La suite des renseignements est erronée ce qui
peut montrer qu' Henri n'avait pas beaucoup de documents sur cette époque.
Peut-être
les archives déposées à Dijon en 1997 contiennent-elles ces
renseignements et ce papier se trouve-t-il quelque part, caché entre
les feuilles de quelque cahier. Il s'est passé cent trente ans entre
le récit de Henri et le dépôt aux archives de Dijon. Ces papiers,
qui ont souvent bougé, étaient entassés sans ordre dans une
soupente, puis dans une pièce inhabitée. Je ne sais pas si le
conservateur a réellement tout compilé avec soin et s'il n'y a pas
eu des mélanges. Il faudrait donc regarder à l'intérieur de chaque
cahiers pour avoir éventuellement
confirmation de ces renseignements.
[1]
Compte de Dimanche de Vitel, Archives de la Côte
d'Or, B, 1408, f°48, v°cité par Chérest :"L'Archiprêtre". [2]
Le Nivernais relève de la maison de Flandres
et constitue en partie le douaire de Marguerite de France, comtesse
d'Artois, veuve du précédent comte de Flandres. Celui-ci reste
vassal du roi de France. [3]Chérest,
« L’Archiprêtre ». [4]
Compte de Dimanche de Vitel, B, 1411, f°59, r° [5]
. (Savigny-en-Revermont, 71506, Saône et Loire, arrondissement
de Louhans, 591 habitants). [6]
Site Internet de Lacour d'Arcenay [7] Les titres de propriété d’Anne Augustine Espiard de Lacour ont été donnés aux Archives de Dijon en 1997.
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