Histoire de la famille de Thy et du château de Lacour

(Transcription du  manuscrit d'Emmanuelle de Thy)

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Chapitre 19

Emmanuel

   

 

                      

Emmanuel de Thy 1882-1941  Elisabeth Morand de Jouffrey 1887-1972

Emmanuel est le fils aîné de Ludovic et de Marie-Caroline de Montmorillon qui a dix neuf ans lors de sa naissance. La famille de Thy de cette époque est au zénith de sa situation sociale. Henri tient toute sa maisonnée d'une main de fer, tandis que Ludovic et sa jeune femme partent facilement à Nice, jouer au baccarat.

 Je ne sais pas ce qu'il en a été pour Emmanuel, mais tous ses frères et sœurs seront confiés à des nourrices qui s'en occuperont complètement au cours de leurs premières années. Marie de Montmorillon considérait que la tâche de faire des enfants représentait, pour les femmes, le pendant du champs de bataille où les hommes risquaient leur vie. La première enfance de sa progéniture lui semblait de peu d'importance et elle s'en déchargera sans état d'âme.

 Emmanuel est né à Lacour, sans doute pour faire plaisir à Mathilde. Ses frères et sœurs, sauf Jean en 1884, naîtront à Autun, dans l'hôtel particulier que la famille y possède. Emmanuel ira au collège d'Autun, tenu par des religieux, comme tous ses frères. Le jeune Emmanuel est sans doute élevé dans l' état d'esprit qui a présidé au mariage de ses parents, mais les temps ont changé depuis la jeunesse de Ludovic.  

On voit ci-dessous les enfants de Ludovic vers 1900. Emmanuel a peut-être dix huit ans et c'est un aîné incontesté.

Si cette photo est prise en 1900, Emmanuel a dix huit ans, sa sœur Marguerite en a dix sept, son frère Jean, seize, Marthe et Edith, douze et dix ans. On voit cinq garçons après Jean, mais Pierre semble avoir plus de six ans et les autres garçons ne semblent pas avoir l'âge indiqué par Généanet. Il y a un garçon en trop sur l'image car l'enfant assis peut difficilement être Gabriel qui ne marche pas encore à onze mois et Hélène manque.

La sœur aînée de François de Thy, Marie née en 1912, religieuse au Mans m'a écrit en 2002 qu'elle n'avait jamais su combien au juste il y en avait et apparemment personne ne connaît avec exactitude les dates de naissance, sinon de mort, des enfants de Ludovic.

La famille sera en difficulté sur le plan financier au tournant du siècle, mais ce n'est peut-être pas encore le cas au moment où est prise la photo.  En 1900, cependant, Ludovic oriente son aîné vers des études d'ingénieur des mines, qu'il réussira sans difficultés. Il en sera de même pour son frère Jean, de deux ans son cadet. Les études des autres garçons de la fratrie n'ont pas fait l'objet d'une transmission orale, mais la quantité de livres de mathématique qui traînait dans la tour nord laisse penser qu'ils ont dû faire quelques études scientifiques. Peut-être n'ont-ils pas réussi aussi bien que leurs aînés, mais l'histoire est muette sur cette question.

 

 

La tradition familiale n'a rien livré non plus des premiers pas d'Emmanuel dans la vie active, après ses études d'ingénieur des mines. Une lettre de ma grand-mère Rabut à François, en mai 1946, apporte une seule précision sur ce point. Emmanuel était Ingénieur des Mines de Saint-Etienne.

 Emmanuel attendra cependant d'avoir vingt neuf ans pour épouser, en 1911, Elisabeth Morand de Jouffrey et, à cette époque, il travaille dans le Nord.

Une lettre d'Emmanuel, datée de juin 1914, nous éclaire un peu sur ses pensées à cette époque. 

Somain 08-6-14

Ma chérie

Me voilà rentré ce matin sans encombres à la fosse, un peu las d’une nuit sans sommeil et surtout bien triste de te sentir loin de moi, et peut-être souffrante. Dis-moi comment tu vas aujourd’hui : maux de ventre, maux de tête, etc….Mon train a eu dix minutes de retard

en arrivant à Paris, mais j’ai pu avoir quand même celui de Nord : 12 minutes entre la descente du train P.L.M. et l’arrivée dans mon compartiment du Nord. Un nouveau train, créé depuis peu, m’aurait permis d’arriver à Somain à 3 heures du matin, mais il n’avait que des premières. J’y ai sagement renoncé. Aucune correspondance à mon arrivée, sinon une lettre chargée de La Mûre avec chèque de 3400 francs (les coupons augmentent tous les ans) et les souvenirs personnels de M. de Renneville pour nous deux. De l’Oncle du Parc, rien. De Perrin, rien encore. Cette nuit, contrairement à mes habitudes, je n’ai pas dormi ; j’ai seulement rêvassé à Lacour et à la façon dont nous pourrions faire notre nid dans l’aile de bonne-maman ; mais ce sont, au fond, projets en l’air : y habiterons-nous seulement jamais ? Je suis bien attristé à la pensée que nous puissions parfois juger de ce que nous devons faire sous des aspects différents. Il est parfois difficile de faire pour le mieux et surtout de contenter tout le monde et la confiance ne se commande pas.

Rien de nouveau ici,  d’ailleurs je n’ai vu personne. Le colis de lingerie fine est arrivé ce matin, j’en ai eu pour 5 francs de port. Ce matin, je n’ai pas le courage de descendre au fond. Je dors sur place. Que je voudrais donc changer de situation. Je t’embrasse ma chère Elisabeth, reviens-moi très vite, tu me manque trop ici. Embrasse nos enfants et aime-moi toujours comme je t’aime. Emmanuel

Les pressentiments d'Emmanuel ne le trompent pas. Il n'habitera effectivement jamais à Lacour. Lorsqu'il écrit que la confiance ne se commande pas, il pense à son père, qui lui a fait des promesses qu'il ne tiendra pas.

 Emmanuel jouissait d’une activité professionnelle d’un bon niveau, était marié à une femme jolie, aimante, intelligente, cultivée, bourrée de qualités et aura six beaux enfants. Il était cependant le premier de sa famille à devoir travailler pour vivre et avait du mal à supporter cette situation dont il ne maîtrisait pas les codes.

Une lettre qui lui est adressée en 1919 illustre cette affirmation.

Compagnie des Mines d’Aniche

Le 9 mai 1919

Cher Monsieur de Thy

Je suis heureux d’apprendre que la santé de Madame de Thy s’améliore sensiblement et que vous envisagez la possibilité de rentrer avec elle à Aniche à l’automne prochain.
Je prends note de vos desiderata sans pouvoir vous promettre de les réaliser tous. Quand le moment sera venu, nous examinerons toutes choses et ferons pour le mieux, y compris pour le logement.
Je dois vous avouer mon ignorance au sujet de la question chevaux et voitures pour le personnel. Je n’en ai jamais entendu parler par aucun ingénieur.

Sentiments les meilleurs

Signature Lemay

Contrairement à son père, Ludovic qui s’était contenté de vivre en rentier et de dépenser sa fortune, Emmanuel avait dû s’éloigner très loin de chez lui et subir la vie d’un salarié, existence à laquelle aucune référence familiale ne l’avait préparé.

Ce n’est pas de gaîté de cœur ni par choix qu’Emmanuel de Thy s’était installé à Aniches, dans le Nord où il se vivait en exil, très loin de Lacour, de sa famille et de ses références. Contrairement à l’époque actuelle, quand on était ingénieur des mines, on travaillait dans les mines et Emmanuel travaillait effectivement au fond des mines.

 Son travail était purement alimentaire, malgré son titre d’ingénieur, et il se sentait en porte-à-faux dans sa situation sociale.  Ses conditions de vie étaient rudes, comme en témoigne cette lettre que j’ai reçue de ma grand-mère de Thy beaucoup plus tard :

Lettre d’Elisabeth à sa petite-fille Emmanuelle

 17-6-66

 Ma chérie

 Ta lettre a été pour moi une charmante surprise. Quelle existence laborieuse vous avez et avec quelle impatience vous devez attendre le dimanche.…  Imagines toi qu’au début de notre mariage, nous avions, ton grand‘Père et moi, une vie tout aussi austère. Il fallait que ton grand’Père soit au bureau à sept heures, pour faire plusieurs heures de tournée au fond, d’où il sortait noir comme ses ouvriers qui, n’ayant pas encore de salle de bains, rentraient chez eux déguisés en nègres. Vers midi et demi retour à la maison à bicyclette ; présence au bureau à deux heures jusqu’à six ou sept heures.

La loi de huit heures, plus tard, a été la bienvenue…[…].

 

 En août 1914, après avoir évacué sa famille, Emmanuel sera mobilisé sur les houillères du Nord qui représentaient un élément important dans l’effort de guerre du gouvernement français. Il sera fait prisonnier sur place, lors de l’avancée allemande à travers la Belgique et passera toute la guerre prisonnier sur place, réquisitionné par les allemands sur le carreau de la mine. 

Le premier enfant d'Emmanuel, Marie, naîtra en 1912, puis un fils, François en 1913. Un troisième enfant, Thérèse, naîtra en 1915. Emmanuel était alors prisonnier de guerre, sans aucune possibilité de correspondre avec sa famille depuis août 1914. En août 1914, Elisabeth Morand de Jouffrey, femme d’Emmanuel, avait pu être évacuée avec ses enfants. Elle était partie s’installer chez ses parents à Machy, à côté de Lyon et y restera, avec quelques séjours à Autun ou à Lacour chez ses beaux-parents, jusqu’au retour de son mari en  novembre 1918. Celui-ci avait retrouvé un  fils inconnu puisque François avait 9 mois quand ils s’étaient trouvés séparés et cinq ans lors des retrouvailles familiales.

Emmanuel et sa femme étaient très pieux et ne s’autorisaient pas des pratiques contraceptives condamnées par l’Eglise. Après son retour de captivité, fin 1918, Emmanuel aura encore trois enfants, Colette, née en janvier 1920, Joseph et Pierre nés en 1921 et 1923.

C’était une lourde charge de famille, sachant que la fortune d’Elisabeth avait fondu au rythme de l’inflation et des dévaluations du franc et qu’Emmanuel avait reçu en 1928 un petit héritage de sa mère mais n’avait pas grand chose à attendre du côté de son père qui mourra d’ailleurs en même temps que lui.

 

Sur la photo, Emmanuel est   au milieu.

Emmanuel parvenait à vivre à peu près correctement dans sa petite maison de briques du Nord grâce à son salaire, mais ses conditions de vie étaient presque misérable en comparaison des splendeurs passées. 

Lacour, c’est évidemment mieux que la petite maison de briques du Nord. Sur la photo, qui doit dater de1935, Emmanuel est à droite et Elisabeth à gauche. François, leur fils aîné est au milieu, encadré par un petit frère et Colette. On voit Jacques de Thy, frère d'Emmanuel, sa femme et ses deux filles, Geneviève et Etiennette.

 

 Il avait aidé son jeune frère, Jacques, qui n'avait pas fait beaucoup d'études, en lui trouvant un petit travail salarié, dans la Compagnie des mines d'Aniche. Celui-ci s'était marié en 1926, avait eu une première fille, Geneviève l'année suivante et était venu s'installer à Aniche vers 1930. Cependant Aniche et toute la région du nord de la France, couverte de bassin houillers, étaient une région extrêmement polluée au début du XXème siècle.

On peut se demander si cette pollution, qui n'était pas nommée ainsi à cette époque, n'est pas à l'origine des problèmes de malformation cardiaque qui vont frapper coup sur coup deux de ces enfants nés dans la région. En effet, le fils aîné d'Emmanuel, François, né à Somain comme sa sœur aînée, sera diagnostiqué bien plus tard, au moment où il voudra s'engager en 1939, comme porteur d'une malformation cardiaque grave, (la maladie d'Epstein sera identifiée lorsqu'il avait quarante ans), qui le fera réformer et sera responsable d'une très grande fatigabilité. En 1932, Etiennette, la seconde fille de son frère Jacques, installé dans la région depuis deux ans, naît avec une malformation cardiaque qui l'empêchera de grandir lors de la puberté et en fera une naine qui ne pourra se marier. Etiennette sera cependant institutrice et autonome sur le plan financier.

Il faut savoir qu'actuellement en Chine, le taux des enfants qui naissent avec une anomalie physique ou mentale est trois fois plus important que dans les pays occidentaux. Le Shaanxi au nord-est, qui est une région d'exploitation minière intensive et qui est ainsi extrêmement polluée, enregistre le plus fort taux de malformation à la naissance. Parmi celles-ci, le nombre de malformations cardiaques est anormalement élevé et clairement imputable à une cause environnementale. Les scientifiques chinois désignent la pollution massive qui y sévit [1] comme la cause de ces malformations.

La pauvre Elisabeth, femme d'Emmanuel, aura continuellement des rhinites et des bronchites, sans doute allergiques, mais son fils aîné présentera un handicap masqué qui jouera sans doute un rôle dans la faiblesse de ses études, du fait qu'il sera toute sa vie très fatigable. Mais jusqu'en 1939, personne n'a donné une raison à ce manque d'énergie et Emmanuel, son père, sera très déçu par ce fils incapable de faire de bonnes études.

 En 1923, Emmanuel écrit à Elisabeth :" [...]Je suis bien ennuyé de ce que vous me dites pour François : s’il ne peut suivre un collège, il faudra sans doute renoncer pour lui à parvenir à une grande école et alors, qu’en ferons-nous plus tard, sinon de l’agriculture et encore, s’il a de la fortune, ce qui sans doute ne sera guère le cas[...]".


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[1]" Au pays des enfants rares", Isabelle Attané, Fayard, 2011