Histoire de la famille de Thy et du château de Lacour
(Transcription du manuscrit d'Emmanuelle de Thy)
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Emmanuel est le fils aîné de
Ludovic et de Marie-Caroline de Montmorillon qui a dix neuf ans lors de
sa naissance. La famille de Thy de cette époque est au zénith de sa
situation sociale. Henri tient toute sa maisonnée d'une main de fer,
tandis que Ludovic et sa jeune femme partent facilement à Nice, jouer
au baccarat. Je
ne sais pas ce qu'il en a été pour Emmanuel, mais tous ses frères et
sœurs seront confiés à des nourrices qui s'en occuperont complètement
au cours de leurs premières années. Marie de Montmorillon considérait
que la tâche de faire des enfants représentait, pour les femmes, le
pendant du champs de bataille où les hommes risquaient leur vie. La
première enfance de sa progéniture lui semblait de peu d'importance et
elle s'en déchargera sans état d'âme. Emmanuel est né à Lacour, sans doute pour faire plaisir à Mathilde. Ses frères et sœurs, sauf Jean en 1884, naîtront à Autun, dans l'hôtel particulier que la famille y possède. Emmanuel ira au collège d'Autun, tenu par des religieux, comme tous ses frères. Le jeune Emmanuel est sans doute élevé dans l' état d'esprit qui a présidé au mariage de ses parents, mais les temps ont changé depuis la jeunesse de Ludovic. On
voit ci-dessous les enfants de Ludovic vers 1900. Emmanuel a peut-être
dix huit ans et c'est un aîné incontesté.
Si cette photo est prise en 1900, Emmanuel a dix huit ans, sa sœur Marguerite en a dix sept, son frère Jean, seize, Marthe et Edith, douze et dix ans. On voit cinq garçons après Jean, mais Pierre semble avoir plus de six ans et les autres garçons ne semblent pas avoir l'âge indiqué par Généanet. Il y a un garçon en trop sur l'image car l'enfant assis peut difficilement être Gabriel qui ne marche pas encore à onze mois et Hélène manque.
Emmanuel
attendra cependant d'avoir vingt neuf ans pour épouser, en 1911,
Elisabeth Morand de Jouffrey et, à cette époque, il travaille dans le
Nord. Une lettre d'Emmanuel, datée de juin 1914, nous éclaire un peu sur ses pensées à cette époque.
Les pressentiments d'Emmanuel ne
le trompent pas. Il n'habitera effectivement jamais à Lacour. Lorsqu'il
écrit que la confiance ne se commande pas, il pense à son père,
qui lui a fait des promesses qu'il ne tiendra pas. Une lettre qui lui est adressée
en 1919 illustre cette affirmation. Compagnie des Mines
d’Aniche Le 9 mai 1919 Cher Monsieur de Thy Je
suis heureux d’apprendre que la santé de Madame de Thy s’améliore
sensiblement et que vous envisagez la possibilité de rentrer avec elle
à Aniche à l’automne prochain. Sentiments
les meilleurs Signature Lemay Contrairement à son père,
Ludovic qui s’était contenté de vivre en rentier et de dépenser sa
fortune, Emmanuel avait dû s’éloigner très loin de chez lui et
subir la vie d’un salarié, existence à laquelle aucune référence
familiale ne l’avait préparé. Ce n’est pas de gaîté de cœur
ni par choix qu’Emmanuel de Thy s’était installé à Aniches, dans
le Nord où il se vivait en exil, très loin de Lacour, de sa famille et
de ses références. Contrairement à l’époque actuelle, quand
on était ingénieur des mines, on travaillait dans les mines et
Emmanuel travaillait effectivement au fond des mines. Son
travail était purement alimentaire, malgré son titre d’ingénieur,
et il se sentait en porte-à-faux dans sa situation sociale. Ses
conditions de vie étaient rudes, comme en témoigne cette lettre que
j’ai reçue de ma grand-mère de Thy beaucoup plus tard : Lettre d’Elisabeth à sa petite-fille Emmanuelle 17-6-66 Ma chérie Ta lettre a été pour
moi une charmante surprise. Quelle existence laborieuse vous avez et
avec quelle impatience vous devez attendre le dimanche.…
Imagines toi qu’au début de notre mariage, nous avions, ton grand‘Père
et moi, une vie tout aussi austère. Il fallait que ton grand’Père
soit au bureau à sept heures, pour faire plusieurs heures de tournée
au fond, d’où il sortait noir comme ses ouvriers qui, n’ayant pas
encore de salle de bains, rentraient chez eux déguisés en nègres.
Vers midi et demi retour à la maison à bicyclette ; présence au
bureau à deux heures jusqu’à six ou sept heures. La loi de huit heures, plus
tard, a été la bienvenue…[…].
En
août 1914, après avoir évacué sa famille, Emmanuel sera mobilisé
sur les houillères du Nord qui représentaient un élément important
dans l’effort de guerre du gouvernement français. Il sera fait
prisonnier sur place, lors de l’avancée allemande à travers la
Belgique et passera toute la guerre prisonnier sur place, réquisitionné
par les allemands sur le carreau de la mine.
Le
premier enfant d'Emmanuel, Marie, naîtra en 1912, puis un fils, François
en 1913. Un troisième enfant, Thérèse, naîtra en 1915. Emmanuel était
alors prisonnier de guerre, sans aucune possibilité de correspondre
avec sa famille depuis août 1914. En août 1914, Elisabeth Morand de
Jouffrey, femme d’Emmanuel, avait pu être évacuée avec ses enfants.
Elle était partie s’installer chez ses parents à Machy, à côté de
Lyon et y restera, avec quelques séjours à Autun ou à Lacour chez ses
beaux-parents, jusqu’au retour de son mari en novembre 1918.
Celui-ci avait retrouvé un fils inconnu puisque François avait 9
mois quand ils s’étaient trouvés séparés et cinq ans lors des
retrouvailles familiales. Emmanuel et sa femme étaient très pieux et ne s’autorisaient pas des pratiques contraceptives condamnées par l’Eglise. Après son retour de captivité, fin 1918, Emmanuel aura encore trois enfants, Colette, née en janvier 1920, Joseph et Pierre nés en 1921 et 1923.
Emmanuel
parvenait à vivre à peu près correctement dans sa petite maison de
briques du Nord grâce à son salaire, mais ses conditions de vie étaient
presque misérable en comparaison des splendeurs passées.
Il
avait aidé son jeune frère, Jacques, qui n'avait pas fait beaucoup d'études,
en lui trouvant un petit travail salarié, dans la Compagnie des mines
d'Aniche. Celui-ci s'était marié en 1926, avait eu une première
fille, Geneviève l'année suivante et était venu s'installer à Aniche
vers 1930. Cependant Aniche et toute la région du nord de la France,
couverte de bassin houillers, étaient une région extrêmement polluée
au début du XXème siècle. On
peut se demander si cette pollution, qui n'était pas nommée ainsi à
cette époque, n'est pas à l'origine des problèmes de malformation
cardiaque qui vont frapper coup sur coup deux de ces enfants nés dans
la région. En effet, le fils aîné d'Emmanuel, François, né à
Somain comme sa sœur aînée, sera diagnostiqué bien plus tard, au
moment où il voudra s'engager en 1939, comme porteur d'une malformation
cardiaque grave, (la maladie d'Epstein sera identifiée lorsqu'il
avait quarante ans), qui le fera réformer et sera responsable d'une très
grande fatigabilité. En 1932, Etiennette, la seconde fille de son frère
Jacques, installé dans la région depuis deux ans, naît avec une
malformation cardiaque qui l'empêchera de grandir lors de la puberté
et en fera une naine qui ne pourra se marier. Etiennette sera cependant
institutrice et autonome sur le plan financier. Il
faut savoir qu'actuellement en Chine, le taux des enfants qui naissent
avec une anomalie physique ou mentale est trois fois plus important que
dans les pays occidentaux. Le Shaanxi au nord-est, qui est une région
d'exploitation minière intensive et qui est ainsi extrêmement polluée,
enregistre le plus fort taux de malformation à la naissance. Parmi
celles-ci, le nombre de malformations cardiaques est anormalement élevé
et clairement imputable à une cause environnementale. Les scientifiques
chinois désignent la pollution massive qui y sévit [1]
comme la cause de ces malformations. La
pauvre Elisabeth, femme d'Emmanuel, aura continuellement des rhinites et
des bronchites, sans doute allergiques, mais son fils aîné présentera
un handicap masqué qui jouera sans doute un rôle dans la faiblesse de
ses études, du fait qu'il sera toute sa vie très fatigable. Mais
jusqu'en 1939, personne n'a donné une raison à ce manque d'énergie et
Emmanuel, son père, sera très déçu par ce fils incapable de faire de
bonnes études. En
1923, Emmanuel écrit à Elisabeth :" [...]Je suis bien ennuyé
de ce que vous me dites pour François : s’il ne peut suivre un
collège, il faudra sans doute renoncer pour lui à parvenir à une
grande école et alors, qu’en ferons-nous plus tard, sinon de
l’agriculture et encore, s’il a de la fortune, ce qui sans doute ne
sera guère le cas[...]". |