Histoire de la famille de Thy et du château de Lacour

(Transcription du  manuscrit d'Emmanuelle de Thy)

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Chapitre 16

L'hôtel de Thy à Autun

   
   

 

Henri, à sa mort en 1913, a laissé un héritage obéré par les dettes contractées pour la scierie.  Ses dettes n'ont pas été réglées puisqu'un procès est en cours pour savoir qui doit les payer. Antoine et les créanciers de la succession demandent en justice le partage de sa succession, ouverte depuis 1913. Mathilde est décédée le 21 mai 1914 et la décision de justice concernera la succession des deux époux. Une décision judiciaire de partage est prise en date du 31 juillet 1914 et l'expertise judiciaire des biens à partager a été ordonnée[1].        

"Par le tribunal civil de première instance d'Autun, à la date du 29 juillet 1914 [...]

Joignant l'instance engagée par Lacart avec celle engagée par Antoine de Thy.[...]

 Dit qu'aux requêtes, poursuites et diligences de Antoine de Thy, en présence des défendeurs et eux dûment appelés, il sera, sous la surveillance de Monsieur Proteau, juge au siège, et par le ministère de maîtres Vieillard-Baron et Caret notaires à Autun, commis à cet effet, procédé aux opérations du compte, liquidation et partage de la communauté de biens ayant existé entre Louis-Henri de Thy et Louise-Mathilde de Comeau et de la succession de chacun des dits époux [...]"

  "[...] il sera procédé à la visite descriptive et estimation des immeubles dépendants des communautés et succession de Thy de Comeau  situées sur les communes d'Autun et de Lacour d'Arcenay (Côte d'Or) à l'effet de rechercher et dire s'ils sont partageables en quatre lots égaux, dans l'affirmation, composer les lots et dans la négation, fixer le lotissement et la mise à prix pour la vente."

  

Le tribunal a donc ordonné  une expertise des biens soumis au partage afin de déterminer le lot de chacun des héritiers. Cette décision, un partage "judiciaire" et non à l'amiable entre les héritiers des "consorts de Thy", ne préjuge en rien de l'issue du procès entre Antoine et Henri.    

 Je tiens à la disposition de ceux que cela intéresse l'expertise des biens situés à Lacour qui comprend sur une quarantaine de feuilles la description précise de la fortune de Mathilde, telle, sans doute, qu'elle a dû être achetée en 1645 par l'abbé Espiard.

 L'expertise préconise la vente de l'hôtel particulier d'Autun et  ainsi que celle d' un autre petit immeuble qui le jouxte et propose la constitution de quatre lots d'égale valeur pour le reste de la succession.

Ces deux immeubles appartiennent presque certainement en propre à Henri et ce n'est pas par hasard que les experts, dont l'un, M. Bandelier, est un voisin, en recommandent la vente par licitation. Le produit de cette vente est sans aucun doute destiné à désintéresser partiellement les créanciers de la succession de Henri.  

 

Dans la description des propriétés d'Autun, on voit l'existence de deux maisons de maître qui doivent avoir une origine différente.

La famille de la mère de Henri, Augustine Chauveau de Quercize, était en effet établie à Autun et on constate l'existence d'un hôtel particulier, ainsi que d'un immeuble adjacent qui  devaient lui appartenir. C'est cet immeuble qui avait reçu le nom d'hôtel de Thy.

 L'expertise précise ainsi :

Article 1

Une maison sise à Autun (1), construite en pierres, couvertes en tuiles plates, d'angle de la rue Saint Antoine et de la rue Saint Pancrace, portant sur la rue Saint Antoine le n°23, la dite maison élevée sur grandes et belles caves voûtées, d'un rez-de-chaussée et d'un étage, divisés chacun en plusieurs pièces et appartements, et enfin de mansardes et greniers au-dessus de l'étage.

On y accède de la rue Saint Antoine par un porche avec porte cochère, séparant le rez-de-chaussée en deux parties égales. Par derrière le principal corps de logis, entre les rues Saint Pancrace et Lauchien le Boucher s'étend une cour et un jardin avec pièce d'eau cimentée, grotte en rocaille et puits actuellement condamné.  
A droite de la cour s'étendent sur la rue Saint Pancrace les bâtiments formant les aisances de la dite maison et comprenant notamment : cuisines, armoires, bûchers, écuries, gélinières et hangars.[...]

Enfin, au fond, sur la rue Lauchien le Boucher et adossé au mur de la caserne Billaud, un petit bâtiment de construction récente (2) et soignée abrite une écurie, une sellerie et un logement de palefreniers.[..]

Par comparaison avec les immeubles qui l'entourent et dont nous avons pu savoir le revenu ou le pris d'acquisition, l'immeuble dont la valeur locative est de trois mille à trois mille cinq cents francs nous a paru devoir être estimé à la somme de, défalcation faite du montant des réparations importantes qu'il convient d'y exécuter pour le mettre en bon état ....  35.000 F.

Article 3

Un immeuble situé à Autun à l'angle des rues Lauchier du Boucher et Saint Pancrace (3) comprenant :

I Un corps de bâtiments construit en pierres, couvert en tuiles plates, élevé d'un rez-de-chaussée et cave dessous dormant deux habitations contiguës indépendantes de deux pièces chacune et portant respectivement le n°4 et 6 de la dite rue Lauchier du Boucher.

II Un jardin par derrière ce corps de bâtiment avec porte charretière et portillon d'entrée sous le n°1 de la rue saint Pancrace.[...]

III Un petit pavillon situé dans le dit jardin à l'angle de la rue Tourne-Mouton et Saint Pancrace (4). Le tout porté au cadastre pour une contenance de 50 ares, 53 centiares.

La maison n°4 de la rue Lauchier-Boucher, sans jardin, est louée présentement, moyennant la somme de 100 francs par an.

Celle n°6 contiguë avec tout le jardin est louée pour le prix annuel de 250 francs, soit ensemble un revenu brut de 350 francs qui est le taux actuel des loyers dans ce quartier et pourrait être élevé à 500 francs.

Ces bâtiments sont en médiocre état d'entretien et par comparaison avec les immeubles voisins [..]n nous avons estimé l'immeuble total à la somme de 8000 francs.

Plan d'Autun et localisation des immeubles cités plus haut.

 

La famille de Comeau dont est issue Mathilde habitait le château de Mâcon à Saint-Martin-de-la-Mer mais possédait certainement une maison dans la ville la plus proche, à Autun où la maison de la rue Dufraigne semble effectivement une demeure de maître. Elle devait également posséder  une petite dépendance, rue Tourne Mouton.

 

Article deux 

Une maison située à Autun, rue Dufraigne numéro vingt deux, construite en pierres, couverte en tuiles plates et élevée d'un rez-de-chaussée sur cave, un premier et un deuxième étage ; cabinet d'aisance par derrière, adossé à la façade postérieure. La façade principale sur rue est percée d'une porte d'entrée et de sept fenêtres. Le rez-de-chaussée comprend un grand couloir dallé en ciment auquel on accède de la rue par un perron de six marches en pierres de taille, un grand salon sur rue, une salle à manger ayant accès sur le jardin par une porte percée dans la façade méridionale et une cuisine.
L'escalier du rez-de-chaussée au premier étage est en pierres de taille.
Le premier étage comprend six chambres avec escalier conduisant au deuxième étage en bois.
Le deuxième étage, mansardé, comprend sept chambres.
Sur le tout s'étend un grenier carrelé auquel on accède par un escalier en bois.
La charpente du comble est en chêne.
 Le sol de cette maison a une superficie de sept cent cinquante m2.
Au midi et à l'ouest s'étend un petit jardin, d'une contenu de un are, cinquante centiares, entièrement clos de murs.

Cette propriété est susceptible d'un revenu brut de mille cinq cents francs environ. par comparaison avec les immeubles voisins dont nous avons pu savoir le revenu ou le prix d'acquisition, elle nous a paru, elle nous a paru devoir être estimée à la somme de 13 000 francs, défalcation faite des frais de réparation relativement considérables qu'il faudra y faire pour la remettre en état d'habitabilité.

 

Article 4

 Une petite propriété située à Autun, rue du Tourne-Mouton, n°1 et comprenant

I Une maison d'habitation, formée de la réunion de plusieurs bâtisses en pierres, pan de briques et bois, couverte en tuiles plates, composée au rez-de-chaussée d'un couloir, d'une cuisine,, de deux chambres avec bûcher et cabinet d'aisance.

Au premier étage, de quatre chambres.

Et au deuxième étage de deux chambres.

Caves sous partie, étant observé que l'une d'elles s'ouvrant sur la rue Tourne-Mouton s'étend sous la maison qui forme l'angle de la dite rue et de la rue Lauchier du Boucher.[...]

III Un jardin s'étendant derrière les bâtiments désignés aux paragraphes un et deux ci-dessus [...], donnant accès à un puits établi sous le mur de la propriété Camagnis. Cette propriété a une superficie de sept ares, 51 centiares.

  Nous avons estimé l'ensemble de cette propriété à la somme totale de 8000 francs.

 

Le rapport conclut à la nécessité d'une licitation des immeubles n°1 et 3 qui sont sans doute ceux qui appartenaient en propre à Henri, tandis que les deux autres immeubles, qui devaient appartenir à Mathilde, sont inclus dans le lotissement de la succession entre les héritiers de Mathilde. On constate en tout cas  qu'une licitation des immeubles ayant apparemment appartenu à Henri  intervient  après la déposition du rapport des experts en janvier 1922. Cette licitation aura lieu en juin 1923, plus d'un an après le dépôt de l'expertise . Il n'est pas exclu que leur vente mette-elle un point final à la succession directe de Henri et  que le produit de cette vente soit allé à ses créanciers. 

 

 L'hôtel de Thy, au 19 de la rue Saint Antoine, dont nous avons vu la description[2]fera donc l'objet,   d'une vente par adjudication en juillet 1923.   Elisabeth Morand de Jouffrey est la femme d'Emmanuel de Thy, le fils aîné de Ludovic. Ce sont quelques lignes d'une lettre de Clémentine, la mère d'Elisabeth à sa fille en août 1923 qui nous livrent cette information dont François de Thy n'a jamais soufflé mot dans sa famille, mais dont Robert de Thy a gardé les traces.  

 

"[...]Nous avons trouvé à Lurin Isabelle de La Planche qui nous a raconté qu'ils avaient acheté il y a un mois l'hôtel de Thy à Autun 79.000F. Ils ont le projet de le louer. Il a été vendu aux enchères. Ton beau-père a été charmant pour eux. Ils n'ont pas eu non plus de difficultés avec les Grivel qui demandaient 1900F d'un parquet non posé et qui l'ont lâché à 1.100. Je regrette un peu, mes chers enfants que ce ne soit pas vous qui ayez fait cette bonne affaire, mais il est certain que l'on ne peut avoir à la fois Autun et Lacour.[...]" Lettre de Clémentine Mathéi de Valfond à sa fille Elisabeth, août 1923  

 

Un franc de 1920 vaut à peu près un euro actuel, mais l'expertise avait évalué l'hôtel de Thy à  35.000 francs, plus 8.000 francs pour une construction adjacente. Autun était, à l'époque, une ville recherchée et jouissant d'un une bonne cote sur le plan de l'immobilier. L'hôtel de Thy a donc été vendu, avec l'immeuble adjacent, à un prix bien supérieur à celui qu'avaient donné les experts en 1920 : Ceux-ci avaient fortement sous-estimé les biens soumis à l'expertise et, de plus, n'avaient pas compté avec l'inflation !

Le sort des dettes de la succession de Henri n'est toujours pas réglé par cette vente aux enchères qui n'a permis qu'un règlement partiel ce celles-ci. Si Antoine est reconnu comme associé de son père dans son activité de la scierie, il devra désintéresser les créanciers de Henri sur ses biens propres qui sont constitués dorénavant par sa part d'héritage dans la succession de sa mère Mathilde de Comeau. En attendant la décision de justice, le partage ne peut se faire puisque les droits éventuels des créanciers l'emportent sur les droits des héritiers, donc en particulier d'Antoine.

 

 Une autre lettre de Clémentine évoque l'indivision de Lacour en 1923, ce qui signifie que la succession de 1913 n'est pas encore réglée. Clémentine est une mondaine, qui s'appesantit rarement sur un point et passe rapidement à autre chose, surtout quand elle écrit sur des sujets importants.  .  

"Je comprends certes bien que vous ne vouliez pas de l'indivision à Lacour; mieux vaut n'avoir rien que de pareilles situations. Je demande à Saint Joseph de protéger l'avenir de vos enfants sous le rapport financier, car, pour soi, on se résigne volontiers à tirer le diable par la queue, mais on n'en prend guère son parti pour ses enfants."  

   

En février 1924, Clémentine écrit à sa fille, Elisabeth, épouse d'Emmanuel de Thy: Elle évoque clairement ici le procès d'Antoine et de Ludovic dont l'issue tenait en suspens le partage de la succession de Henri et de Mathilde.  

[...]Voilà donc le procès perdu. On va sortir de l'indivision, mais hélas votre branche ne sortira pas pour cela du chaos. Il faut avoir une immense confiance en Dieu, ce qui ne vous manque pas du reste.[...]".  


Le procès qu'Antoine a intenté à son père et à son frère a duré fort longtemps. La guerre en a retardé la conclusion et c'est vingt ans après son début que le verdict est rendu. Antoine, qui ne jouit pas de la position sociale de sa famille et n'a pas beaucoup d'argent, a gagné le procès qu'il avait engagé en 1903 contre son père. 

  Ludovic devra payer les frais d'un procès mené pendant près de vingt ans puisqu'il a duré de 1903 à 1924, en en soustrayant cinq ans de guerre. Les avocats ont toujours coûté très cher et Ludovic a dû leur laisser des sommes importantes. Il était cependant déjà ruiné avant l'issue   de ce procès. Clémentine qui, dans une lettre à sa fille,  laisse entendre que la ruine de la famille va découler de ce procès, mesure mal l'effet merveilleux de l'inflation sur les dettes de Henri.  

Ma chère Elisabeth

Ta bonne lettre nous amusés par la description des habitants de Lacour. Il ne nous tarde pas de vous voir les imiter. Priez le Saint Esprit de vous éclairer car nous vivons dans des temps si terribles que tout ce qui semble raisonnable ne tourne pas forcément bien. Les évènements semblent se précipiter, la ruine surtout.[...]  

   C'est le seul témoignage que je possède sur cet épisode, au sujet duquel tous ceux qui en savaient quelque chose sont restés d'un mutisme absolu, sans doute par respect pour Henri et Ludovic.

  Je n'ai connu l'existence même de ce procès que par Robert de Thy qui, né en 1926, était incapable d'en dire un mot de plus. François quant à lui n'en a même pas parlé. Brigitte a fait une fois allusion à Ludovic, qui, docteur en droit, faisait des procès à tous ses voisins. En fait elle répétait une information tronquée. Ludovic était associé au procès de Henri qu'il a continué, et défendeur dans un procès engagé par les créanciers de la succession de Henri et de Mathilde.

  Ludovic en 1924 a donc perdu tous ses procès, mais François, qui le révérait, n'a jamais dit un mot de ces histoires. Peut-être en avait-il à peine connaissance car Emmanuel  a dû se montrer   discret vis à vis de sa belle-mère Clémentine sur les causes de la ruine de sa famille.

 Ludovic qui, après son veuvage en 1928, n'avait plus de fortune et pas de retraite, passera les douze dernières années de sa vie à Lacour dans des conditions de vie spartiates.  C'est à cette époque que le discours familial a accusé Antoine d'être responsable de la ruine de la famille. Il n'était responsable que d'avoir gagné le procès qui établissait ses droits mais cela n'a jamais été dit ! Ces droits, issus de la Révolution, mettaient fin à l'exclusion des cadets dans l'héritage paternel des nobles. Henri et Ludovic ont prétendu refaire la loi comme ils l'entendaient sans vouloir comprendre que les temps avaient changé. Le triste destin des enfants de Ludovic constitue l'autre versant de cette position hors de la réalité.

 

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[1] Document transmis par Robert de Thy,  comprenant 45 pages que j'ai photocopiées.

[2]Le plan en était à Lacour dans le buffet Renaissance. Je ne sais pas ce qui en a été fait.