Histoire de la famille de Thy et du château de Lacour
(Transcription du manuscrit d'Emmanuelle de Thy)
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Chapitre 1
Voici
une description de Lacour, due à la plume de Courtépée, l'historien
de la Bourgogne[1]
en 1781: "Arcennaium, village jadis annexe de Lacour, et
peut-être l'église matrice, si on en juge par le vaste cimetière, où
l'on a trouvé en 1774 plusieurs tombes creuses avec des têtes de
morts, et six médailles d'argent du haut Empire, que le seigneur a bien
voulu me donner. La chapelle, vocable de Saint Martin, possède des
reliques de Saint Erembert, ou Crambert, l'évêque de Toulouse, mort
sous le froc à Fontenelle ou Saint Vandrille près de Caudebec, en 678,
natif de Poissy-sur-Seine. [...] Ancien ermitage de Saint Alembert,
auquel le cardinal Rolin accorda des indulgences en 1456 et Jean de Châlon
en 1488. Dix
huit feux, trois étangs. Ruisseau nommé Argentalai qui tombe dans le
Serein. Au bois de Grignon, de 70 arpents, sont les vestiges d'un ancien
château. Au dessous, étang et moulin, à Monsieur de Chanteau. Le château
d'Arcenay a été mal placé
par Expilly en Nivernais ; de tout temps, il a été reconnu être en
Bourgogne. La
Cour, la paroisse, est en Nivernais, vocable des Saints Innocents, à la
coll. de l'Evêque d'Autun.[...]" Le
bois de Grignon indiqué par Courtépée
surplombe le moulin, dit de Lacour, qui appartient à M. de
Chanteau en 1781. Chanteau est sur la route de Saulieu à six kilomètres
de l'étang qui existait alors et M. de Chanteau devait être propriétaire
de ce moulin où se rendaient les habitants de Lacour, moulin qui a
peut-être été acheté par Louis de Comeau après 1836. Le
nom de La Cour évoque évidemment une villa romaine, telle qu'il en a
existé un grand nombre aux temps gallo-romains et jusqu'à l'époque de
Charlemagne. Ces villas étaient équipées pour une vie presque
autonome avec sans doute une forge, un maréchal-ferrant, des ateliers
pour la confection de tous les outils nécessaires au travail des
champs, des espaces dédiés à la culture du lin et du chanvre, une
activité de filage et de tissage etc..
Le haut Empire, de 27 avant
J.C. à 235 après J.C. couvre une vaste période. On sait cependant que
les grandes invasions, à partir de 410, n'ont pas détruit
l'infrastructure préexistante que les conquérants ont utilisée à
leur profit pendant les siècles suivants. La villa sise à Lacour a
donc survécu, sans doute jusqu'à l'aube de la féodalité, sur un mode
presque inchangé. "Dans
un bois voisin, au lieu-dit les Vignes, on a découvert des objets
antiques, comme fragments de mosaïque, des colonnes, des tuiles à
rebords, des débris de poterie et des médailles, indices certains de
l'existence d'une villa romaine"[3] Le
lieu-dit "Les Vignes" indiqué par Courtépée semblait
difficile à localiser puisque les cartes d'état-major ne le
mentionnent pas, non plus que le cadastre. Il
existe un expertise, que nous évoquerons en son temps[4],
qui fait l'inventaire des terres du domaine de Lacour lors de
l'ouverture de la succession de Mathilde de Comeau. Elle apporte
des précisions qui sont malheureusement incomplètes car les numéros
de cadastre indiqués ont changé. Cette expertise donne cependant, en
sus de leurs localisation cadastrale obsolète, le nom des différentes
terres et les situent les unes par rapport aux
autres. La
villa romaine se trouvait-elle à l'emplacement de la Grande Ferme ?
C'est une hypothèse à laquelle souscrit Robert de Thy. Il m'a confirmé
que la Grande Ferme elle-même se trouve sur un lieu-dit anciennement
nommé "Les Vignes", dont une partie est adjacente à
l'ancienne allée du château de Lacour. Il y a d'ailleurs trouvé des
vestiges gallo-romains, à côté du grillage qui borde mon jardin ! Une
villa gallo-romaine semble donc avoir eu son implantation au niveau de
la ferme de Robert et cette villa, à l'origine du village de Lacour, en
constituera sans doute longtemps le cœur, comme nous le verrons plus
loin. La
carte d'état-major identifie le "Pont de la Jonchère"
à mi-chemin entre Lacour et Juillenay, ainsi que le pré Chagnot.
Ils se trouvent entre la route de Juillenay et les bois de Maizière.
Les articles XXVIII à XLVI de l'expertise du domaine de Lacour semblent
décrire des terrains qui occupent un large polygone, entre Lacour, la
route de Juillenay, la ferme nommée "La Rente du
Fourneau"." et toute la lisière nord-est du bois de Maizière. Les
ateliers de réduction de cette époque paraissent assez systématiquement
isolés, distants des habitats, mais proches des lieux d'extraction.
Outre la pollution et les dangers d'incendie, cela évitait de charrier
trop loin la grosse masse de matériaux qu'il fallait traiter pour en
extraire le fer. Ces ateliers se trouvaient donc en bordure de la forêt
où se fabriquait également le charbon de bois nécessaire à ces opérations.
Des
gisements de fer affleurent irrégulièrement sur une ligne presque
droite, depuis la métairie de Bussières (Buchères ?) au sud de
Montlay jusqu'à Thôtes, à une quinzaine de kilomètres plus au nord,
où le fer fera l'objet d'une exploitation industrielle au XIXème siècle.
Une ferme isolée se nomme "Maison Chaude", près de
Courcelotte et de Dompierre. Elle se trouve sur le même axe et devait
avoir la même fonction que celle du Fourneau. Robert
de Thy a trouvé, sur la bordure nord-est de Maizière, des traces
d'occupations ancienne avec des outils de facture gallo-romaine, qui évoquent
ainsi la présence de journaliers travaillant à une exploitation minière.
Si l'extraction et la réduction du fer étaient incluses dans l'économie
de cette villa, cela signifie que son domaine s'étendait aux bois, spécialement
à celui de Maizière, où se trouve le minerai de fer, et au lieu-dit
le Fourneau où celui-ci était traité. L'existence de
lieux-dits nommés "Les Vignes" à proximité témoigne
peut-être d'une appartenance à la villa nommée "Les
Vignes". "Tous
les sujets de la baronnie, ceux de Juillenay, en partie, du Fourneaux,
comme retrayants de cette maison forte, étaient tenus au guet-et-garde,
aux réparations des fossés, du pont-dormant, des barrières… S'étant
refusés à ce devoir en 1631, ils y furent contraints l'année suivante
par un décret du parlement".[5]
En
faisant l'hypothèse que ce domaine était continu, on arrive alors à
dessiner une propriété qui est peut-être proche de celle achetée par
l'abbé Espiard en 1645. Nous verrons que le domaine de Lacour, dont
l'expertise de 1922 nous donne le détail, n'avait pratiquement pas
changé de taille depuis son acquisition par l'abbé Espiard. On ne sait
ce qu'il en avait été auparavant, mais peut-être cette seigneurie
constituait-elle en elle-même une unité de valeur relativement
immuable, puisqu'on la verra régulièrement utilisée pour doter des
jeunes filles de la famille du seigneur du lieu qui appartenait à la
haute noblesse. Les
charges étatiques, tenues par les grands sous les empereurs
carolingiens qui les confiaient à leurs fidèles, vont échapper au
pouvoir central. Dans la mesure où celui-ci n'est plus en capacité de
les défendre, les habitants s'en remettent à une puissance locale pour
repousser les attaques qu'ils subissent. Aux alentours du Xème siècle
la transmission de la motte avec son château de bois, ainsi que des
pouvoirs qui y sont attachés,
devient héréditaire. La féodalité est installée et seuls les moines
et les clercs sont en capacité de recopier, sur des parchemins épais,
les papyrus qui n'arrivent plus en occident depuis l'invasion arabe,
mais qui peuvent encore circuler. A
compter de cette époque, le Nivernais va se trouver pour deux siècles
entre les mains d'une famille puissante dont l'histoire est distincte de
celle de la Bourgogne. Cette famille est celle de Landry, comte de
Nevers de 989 à 1028. Lacour,
à la frontière du Nivernais, jouit d’une vue étendue sur
l’Auxois. On peut supposer que ce village est alors devenu alors une
place stratégique où était postée une garnison chargée de
surveiller la Bourgogne voisine. Depuis la villa d'origine, le
centre du village s'est trouvé déplacé de quelques centaines de mètres
par l'implantation d'une maison-forte érigée là en sentinelle par les
comtes de Nevers. Pendant deux siècles et demi, la destinée
de Lacour sera liée à celle du comté de Nevers. Agnès de
Nevers, fille de Guy de Nevers, est comtesse d'Auxerre, Tonnerre et
Nevers. Elle épouse Pierre de Courtenay et meurt en 1193. C'est
ce Pierre de Courtenay qui sera empereur de Constantinople à l'issue de
la quatrième croisade. Leur fille Mathilde de Courtenay hérite du
Nivernais qu'elle apporte à son époux, Hervé de Donzy. Le Nivernais
passe ensuite par mariage et héritages aux mains de la famille de Châtillon,
puis de Bourbon et enfin entre 1254 et 1262, par le mariage d'une
nouvelle Mathilde, à celles du duc de Bourgogne, Eudes. La fille d'Eudes et de Mathilde, Yolande de
Bourgogne, hérite du comté de Nevers et épouse le comte de Flandres,
Robert III, qui devient ainsi comte de Nevers.
Le Nivernais restera pour cent ans aux mains des comtes de
Flandre, dont la dernière héritière épousera Philippe le Hardi, duc
de Bourgogne en 1369 en lui apportant donc ce comté. La
Guerre de Cents ans va infléchir la vie de Lacour car le Nivernais sera
ravagé par les "Grandes Compagnies" qui y sévissent
après la défaite de Poitiers en 1356.
C'est
aussi le moment où nous avons la première trace d'un seigneur de cette
terre. En 1367, Jean de Sainte Croix fait aveu et dénombrement
de Lacour à la Chambre des Comptes de Nevers. Il est nécessaire à ce
niveau de préciser dans quel environnement politique de situe cette démarche
administrative qui pourrait sembler de pure routine. Après
la défaite de Poitiers en 1356 et durant les quatre années suivantes,
le pays qui s'étend de la Bretagne à la Bourgogne est livré aux
troupes du roi d'Angleterre et du roi de France, organisées en Compagnies
. Il n'y pas de grandes batailles, mais les anglais assiègent, souvent
victorieusement, les places-fortes et les villes fortifiées qu'elles
trouvent sur leur passage et ravagent le plat pays. C'est
à cette occasion qu'émerge le nom d'un personnage qui va jouer un rôle
dans l'histoire de Lacour, celui d'Arnaud de Cervole , dit "L'Archiprêtre",
qui, pour l'heure, combat au service du roi de France. Les"Grandes
Chroniques de France"[7]indiquent
:"Audit mois d'octobre [1358], Robin Canole [Robert Knolles, un
chef de Compagnie anglais fameux], capitaine de plusieurs forteresses
anglaises, en Bretagne et en Normandie, chevaucha en Orléanais et prit
Chastelneuf-sur-Loire, et tantost après Chastillon sur Loire : et après,
chevaucha plus haut, allant en Aucerrois et en la Puysaie, et prit une
forteresse appelée Malicorne; mais les gens du pays s'assemblèrent et
allèrent devant ladite forteresse. Et un chevalier appelé messire
Arnault de Cervole, surnommé l'Archeprestre, qui venait au mandement
dudit régent
, accompagné de grand nombre d'hommes d'armes, se
mit avec lesdites gens du pays devant ladite forteresse de Malicorne.
Mais ils s'en repartirent honteusement sans prendre ladite
forteresse." Le
régent est le futur Charles V, dont le père, Jean le Bon, est
prisonnier des Anglais depuis 1356. L'"Archiprêtre",
Arnaud de Cervole est en charge des forces du régent à cette époque.
Il est reparti sans gloire après avoir tenté sans succès de déloger
les Anglais de cette forteresse. [8]
Robert Knolles et ses troupes vont prendre Régennes, puis Auxerre en
mars 1359, mettant toute la population à rançon.
Ces Anglais vont aller jusqu'à
Saulieu où ils brûlent les habitations au printemps 1359, avant
de repartir vers la Loire et vers la Bretagne. Ils sont
donc presque certainement passés
par Lacour. A
l'automne 1359, les Anglais débarquent à Calais avec Edouard III à
leur tête. Celui-ci voudrait se faire sacrer à Reims mais il échoue
à prendre la ville. Les Anglais poursuivent vers le sud-est jusqu'aux
environs de Flavigny[9],
mais ils n'iront pas plus loin vers le sud.
Nous
avons vu Arnaud de Cervole échouer piteusement devant Malicorne. Le
dauphin , futur Charles V, l'a démis de ses fonctions et renvoyé à la
fin de l'année 1359. Arnaud
de Cervole, devenu chef de Compagnie indépendant, s'est alors
emparé de plusieurs forteresses du Nivernais d'où il tient tout le
pays. Il y a de fortes chances pour que la petite place de Lacour, dont
nous avons dit qu'elle était tombée aux mains des Routiers, ait été
occupée par les troupes
de Cervole. Jean
le Bon, revenu d'Angleterre après le traité de Brétigny, est suzerain
du comte de Flandres et donc du Nivernais. Cervole représente une
puissance considérable, avec de l'or à foison et des troupes armées
à ses ordres. Le roi négocie à prix d'or la libération de ces
forteresses, puis tente de se concilier Cervole en lui faisant épouser
Jeanne, dame de Châteauvillain en 1362. A cette occasion, Arnaud de
Cervole est nommé administrateur du château de Thil-en-Auxois où il
installe ses soldoyers. Jean
le Bon a tout faux et Cervole restera maître du jeux. On le verra, par
la suite, faire pour son compte le siège de plusieurs places-fortes, en
Auxois et en Autunois avec ses routiers bretons et gascons. La
maison-forte de Lacour, comme toutes celles de la contrée, va sans
doute rester livrée durant plusieurs années aux mains des routiers
d'Arnaud de Cervole. [1]
Courtépée : "Description historique et topographique du
duché de Bourgogne" 1781. [2]
Robert de Thy évoque la découverte d'une villa romaine avec tout
un système de drains pour l'évacuation des eaux, dans un champs
qu'il exploitait près de Montlay, appelé "Le Poil gelé",
à côté du lieu-dit "Le dessus du Clou", à la limite
sud-est de Maizières, près de "La croix de l'homme
mort". Une fontaine romaine, dite la source Segrain, dont
il reste des vestiges, se trouvait également à proximité. . Il évoque
également une construction gallo-romaine, à côté de l'ancienne déchetterie
de Lacour, sur la route de Molphey, dont les dernières pierres ont
été utilisées par Gilbert Dargent, le commis de François de Thy,
pour se construire une maison à Franceau. [3]
Baudiau : "Le Morvand" [4]
Document de 43 pages que Robert de Thy m'a prêté en 2012 [5]
Site Internet de Lacour d'Arcenay [6]
Quoique Courtépée affirme le contraire. [7]
Ed. Paulin. Paris, t.6, p.142 [8]
Il ne s'agit pas de Malicorne dans la Sarthe mais d'un fort situé
sur la commune de Charny dans l'Yonne. "En
exécution de ce traité et de la paix générale, le Roy d’Angleterre
par lettre patente donnée à Calais le 28 octobre 1360 chargea
William Graunson et A. Michel de Tamrott de faire évacuer les
places occupées par ses troupes et spécialement Regennes, Legny,
Malicorne et la Motte Champlay"
A. Dey, 1852 [9]
A quatorze kilomètres à l'est de Semur-en-Auxois [10]
A 17 kilomètres à l'ouest de Semur,
dix neuf kilomètres à vol d'oiseau de Lacour, sur la rive
droite du Serein. [11]
Il indique dans "Description historique du duché de
Bourgogne", écrit en 1781.: "Terre aux la Baume
depuis 1445 à 1599, qu'elle passa à François d'Aidic de Quitinière
[...]". [12]
Bien donné en usufruit par l'époux à sa femme lors de son
mariage.
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