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CHAPITRE VII

La fausse preuve du mariage

du connétable de Thil avec la jeune Jeanne de Châteauvillain

Il fallait pouvoir apporter une preuve d’un mariage entre Jean, sire de Thil et la jeune Jeanne de Châteauvillain ; la dame de Thil donnera son accord à ce plan et se prêtera à l’établissement d’un début de preuve ; le roi compte sur le temps pour compléter cette preuve. Jeanne de Châteauvillain, veuve Beaujeu et veuve de Thil, dame de Thil, administrait, au nom du mineur héritier de Thil, le fief de Marigny-en-Champagne. Ce dernier faisait partie des terres du connétable Jean de Thil et avait été acquis du temps du grand-père de ce dernier. Elle en devait l’hommage à l’évêque de Troyes. 

Il faut savoir que l’hommage est dû au seigneur suzerain à chaque changement de vassal comme à chaque changement de suzerain.

L’hommage était le plus souvent oral. Y était couplé un écrit, l’“aveu et dénombrement“, source de revenus pour le suzerain. Souvent ce document précisait le lignage d’où provenait la terre en cause. Jeanne, dame de Thil, avait prêté hommage pour la terre de Marigny-en-Champagne à l’évêque de Troyes au moment de la mort du connétable, vers 1355, sans doute au nom de son fils mineur, Jean de Thil né en 1345. Nous n’avons pas le texte de l’“aveu et dénombrement“ qui y était adjoint, mais cet acte était incontournable puisqu’il fondait la redevance, une année des revenus de la terre, qui revenait au suzerain. L’évêque de Troyes est resté le même entre 1354 et 1368.

  Le 2 mai 1362 la jeune Jeanne, dame de Châteauvillain depuis son mariage avec Hugues de Vienne, fait hommage à l’évêque de Troyes de la terre de Marigny-en-Champagne. Le texte ne nous dit rien de la provenance ou du lignage d’où la jeune Jeanne tient cette terre, ce qui évoquerait une vente. Il n’évoque pas la qualité, usufruitier ou pleinement propriétaire, du détenteur de cette terre, objet d’un hommage d’un nouveau vassal à son suzerain.

 Puisque l’évêque n’a pas changé, il s’agit d’un changement de vassal.  Ce nouveau vassal doit l’hommage à son seigneur suzerain, l’évêque de Troyes en l’occurrence. A la demande du roi et avant même le mariage prévu de Cervole avec la jeune Jeanne, la dame de Thil cède apparemment à cette dernière, un peu avant mai 1362, la terre de Marigny-en-Champagne. Nous le savons puisque nous avons même le texte, écrit, de l’hommage qui en a été la conséquence

Extrait des archives de l’Evêché de Troyes


A tous ceux qui verront et orront ces présentes lettres. Nous, Jehanne Dame de Saint George et de Châteauvillain, faisons savoir que nous donnons pleins pouvoirs, autorité et puissance à notre bien aimé Chevalier Lieutenant Monsieur Sanche de Noigent, autant comme nous en notre personne pourrions avoir si nous y étions à faire, de entier foy et hommaige en la main du Révérent Père en Dieu, notre très cher Seigneur et cousin Monseigneur l’évêque de Troyes, et de faire foye à icelui en nom de nous, pour nous, de tout ce que nous tenons dudit Monseigneur l’Evêque en toute la diocèse de Troyes et spécialement en la ville  et appartenance de Marigny en Champaigne, excepté le châtel. Et promettons en bonne foye et sur l’obligation de tous nos biens meubles et non meubles, présents et futurs, de tenir ferme et stable tout ce que le dit Monsieur Sanchez notre Lieutenant en fera, sans jamais aller au contraire. En témoing de laquelle chose nous avons mis notre scel en ces présentes lettres, qui furent faites et données à Gesure le second jour du mois de may l’an mille trois cent soixante-deux. [1]

Le vœu du roi est que la dame de Châteauvillain apparaisse à terme comme douairière de Marigny-en-Champagne, ce qui authentifierait un mariage ancien de cette dernière avec le connétable qui lui aurait donné cette terre en douaire. Dans l’hommage prêté en 1362 à l’évêque de Troyes, il n’est cependant pas dit à quel titre cet hommage a lieu.  La dame de Châteauvillain ne peut se dire douairière de Marigny en 1362, puisque l’évêque de Troyes a déjà reçu, à la mort du connétable, l’hommage de la dame de Thil qui est toujours vivante.  L’évêque, en 1362, peut simplement penser que cette terre a changé de mains, soit en usufruit, soit en toute propriété.

Six ans plus tard, la dame de Thil est décédée et il en est de même de l’évêque de Troyes.  Après la mort de l’évêque en 1368, un nouvel hommage doit être prêté par ses vassaux au nouvel évêque de Troyes. C’est à l’occasion de cet hommage pour Marigny, que prête la dame de Châteauvillain, que le mot “douairière“, est prononcé   officiellement. Nous avons dit que le “douaire“ est un usufruit constitué par l’époux sur un de ses biens au profit de son épouse survivante.   

Si la dame de Châteauvillain est douairière de Marigny-en-Champagne en 1369, cela signifie qu’elle avait été auparavant l’épouse du connétable de Thil qui lui aurait donné Marigny-en-Champagne comme douaire. Cela constitue la preuve de son mariage avec le connétable Jean de Thil, à une époque antérieure à la mort de ce dernier. On sait qu’il s’est marié en secondes noces en 1345 avec une “ Jeanne de Châteauvillain “ et que c’est à cette date qu’est né son fils héritier légitime. Le nouvel évêque, qui ne connaît pas l’histoire en cause, n’a pas de raison de protester.[2]

 

 Extrait d’un rôle contenant les noms de ceux adjournés à  venir entrer en la foy et hommage de l’évêque de Troyes :



 “Monsieur Enguerran d’Eudin, Chevalier à cause de Madame sa femme douairière, et Monseigneur Jean de Til comme héritier, à cause de la terre de Marigny et des appartenances.

Ce nouvel hommage est prêté au nom de la dame de Châteauvillain par le dernier mari de celle-ci, Enguerrand d’Eudin. Il y est spécifié, cette fois-ci, qu’elle tient cette terre au titre de douaire et qu’un Monseigneur Jean de Thil rend le même hommage au titre d’héritier de la terre de Marigny-en-Champagne. Le XIVe siècle manie avec dextérité les démembrements de propriété. On est “douairière“, c’est-à-dire usufruitière d’un bien et le nu-propriétaire est désigné sous le nom d’“héritier“, c’est-à-dire appelé à devenir pleinement propriétaire à la mort de l’usufruitier. Cette précision n’avait pas été apportée lors du premier hommage et ce n’est semble-t-il pas un hasard.

 La dame de Thil, qui a en 1362 a remis Marigny à la jeune dame de Châteauvillain, a appliqué le plan prévu par le roi. Cette terre doit revenir à Johannis de Thillio, petit-fils de la dame de Thil, mais administrativement fils de cette dernière.  En cas de réussite de ce plan, Johannis deviendra administrativement le fils de la dame de Châteauvillain. 

On comprend que les généalogistes du XVIIe siècle aient pu être abusés puisqu’ils n’avaient aucun moyen de repérer une quelconque fraude. C’est ce document qui emportera la conviction des historiens postérieurs sur la réalité de ce mariage.

Cet hommage de 1369 représente, comme nous le verrons, le dernier pas pour accréditer la filiation de Johannis de Tillio comme fils issu du mariage du connétable Jean de Thil et de la jeune Jeanne de Châteauvillain. On sait que le connétable s’est marié en 1345. Si la jeune Jeanne avait été l’épouse du connétable en 1345, c’est elle qui aurait mis au monde le fils né à cette date dont l’existence est connue, mais non la mort. 

La famille de Chalon-Auxerre, qui aurait pu se manifester, est en difficulté et ne s’occupera pas de ces détails qui ne la concernaient plus.

  Le fils légitime du connétable, né en 1345, mort avant 1362, est remplacé par Johannis de Tillio, le fils de Jean de Châteauvillain. Johannis sera réputé né en 1345 et le mariage connu de la jeune Jeanne avec Guillaume de Chalon-Auxerre sera supposé avoir eu lieu après la mort du connétable, en 1356.

 Johannis, déclaré en 1356 fils de son grand-père, va devenir, par la volonté du roi, le fils aîné de Jean de Thil et de la jeune Jeanne de Châteauvillain. Il est destiné à hériter de Châteauvillain à la mort de sa pseudo-mère.


[1]“Histoire des Maison de Dreux, de Bar-le-Duc, de Luxembourg et de Limbourg, Du Plessis de Richelieu, de Broyes et de Châteauvillain“, André Duchesne, géographe du roi, 1631, “preuves“ p. 1032 sur 1063

[2] Duchesne,  ouvrage cité, “preuves“, p1035

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