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CHAPITRE I

Jeanne, dame de Thil

Nous avons raconté, dans la première partie de cet ouvrage, l’histoire de Jean, Bâtard de Thil, et de sa descendance.

C’est le déroulement de la vie de Jeanne, sa mère, qui permet de comprendre par quels détours du destin, elle a pu mettre son fils en situation de rendre un tel service au roi. Et cette recherche nous permettra, accessoirement, de porter aussi un éclairage sur l’histoire du château de Thil. Pour ceux que cela pourra intéresser, nous verrons, dans la seconde partie de ce travail l’enchaînement des circonstances, extérieures au Bâtard de Thil, qui ont conduit à un tel résultat.

Revenons donc à Jeanne, veuve Beaujeu, dame de Montmelas, après la naissance du bâtard de Thil.

Sa relation avec le connétable de Thil s’est manifestement inscrite dans la durée et, à terme, c’est bien un mariage dont il est question. Mais le décès même d’Agnès de Frôlois ne va pas entraîner un mariage immédiat. 

Le connétable a en effet un problème : il n’a toujours pas d’héritier légitime susceptible de lui succéder comme seigneur de Thil. On peut donc penser que, dès la mort de son épouse qu’on situe vers 1338, il a tenté d’avoir un fils avec Jeanne. C’est d’abord une fille qui naîtra et ce n’est qu’en 1345, alors que Jeanne est dans sa quarantième année, qu’il aura enfin le fils héritier espéré. Celui-ci sera également prénommé Jean et nous le nommerons le jeune Jean.  La chronique dit que Jean, sire de Thil, a épousé Jeanne de Châteauvillain en 1345, mais ne précise pas laquelle des deux Jeanne existant à ce moment a convolé avec le connétable[1].

L’histoire officielle veut que ce soit la jeune Jeanne de Châteauvillain, fille du seigneur de Châteauvillain en Champagne, que Jean, sire de Thil, aurait épousé avant 1345.  Elle aurait donné le jour à un fils en 1345.  Nous n’avons aucun renseignement sur la date de naissance de cette jeune fille, mais nous savons qu’elle est née au plus tôt en 1332[2] et aurait eu au maximum treize ans en 1345.

On sait également qu’elle a été mariée, sans doute à un âge considéré comme normal, à Guillaume de Chalon-Auxerre, fils du Grand Bouteiller de France. Après la bataille de Poitiers en 1356, les Anglais ont envahi la France et Guillaume, en mars 1359, sera fait prisonnier dans sa ville d’Auxerre qu’il défendait contre les Routiers Anglais[3]. Ceux-ci le vendront au roi d’Angleterre qui le gardera jusqu’au paiement de sa rançon.

 Cette rançon n’aura pas le temps d’être versée et le traité de Brétigny en 1360 le comprendra parmi les otages retenus en Angleterre en gage du versement de la rançon de Jean le Bon. Il mourra quelques mois plus tard à Londres, sans avoir eu de descendance de la jeune Jeanne, apparemment trop jeune pour enfanter à l’époque de ce mariage puisqu’elle aura quatre enfants par la suite.

On peut penser que, si le connétable s’est marié en 1345, alors qu’il avait près de cinquante ans, c’est qu’il voulait sans attendre avoir un fils pour héritier ; en 1345, ce fils était né et il pouvait épouser sa mère. Choisir une jeune fille âgée au mieux de treize ans l’aurait condamné à attendre encore quelques années de plus pour espérer avoir ce fils.  Il est donc beaucoup plus probable qu’il ait eu cet enfant avec Jeanne de Châteauvillain, veuve de Guichard de Beaujeu, qui lui avait déjà donné des enfants et qu’il épousera dès la naissance d’un fils.

Le connétable n’avait certainement pas envie de répéter la situation de son premier mariage durant lequel il s’était retrouvé dans l’incapacité d’avoir un héritier puisque que sa femme, toujours vivante, ne pouvait plus le lui donner. Il n’avait donc pas épousé Jeanne dès la naissance de sa fille. Il s’agissait de garder, jusqu’au moment où Jeanne lui aurait donné ce fils, la possibilité de contracter un autre mariage avec une femme susceptible de lui donner cet héritier légitime tant désiré. Dès la naissance de son fils, le sire de Thil se hâte donc d’épouser Jeanne. Ce mariage, en légitimant son fils Jean, nouveau-né, légitimait du même coup sa fille née quelques années plus tôt. 

 

Jeanne, dame de Montmelas, aura donc élevé huit enfants au moins, si l’on compte les cinq enfants qu’elle a eu avec Guichard de Beaujeu et les trois qu’elle aura eu entre 1333 et 1345 avec le sire de Thil.

 Cependant Jeanne restait responsable, jusqu’à leur majorité, des enfants qu’elle avait eu avec le sire de Beaujeu et ne pouvait quitter le Beaujolais. C’est en 1345 que le testament de Guichard de Beaujeu a été ouvert officiellement. Ce testament   envoyait au couvent trois des cinq enfants que lui avait donnés Jeanne. Seuls Guichard et Guillaume de Beaujeu, ses aînés, jumeaux, avaient été dotés, les autres ne recevant que de quoi se vêtir décemment. Nous avons dit que des fils cadets ou des fils bâtards étaient traités quasiment de la même manière, condamnés au couvent ou la vie des armes. Le testament de Guichard en est une belle illustration.

Mais les trois benjamins de Guichard le Grand déclarèrent tous qu’ils n’avaient pas de vocation pour entrer dans les Ordres. Jeanne, veuve de Guichard, était une femme énergique et voulait que tous ses enfants puissent avoir une destinée : négligeant le testament de Guichard, Jeanne négociera avec Edouard 1er de Beaujeu[4], son beau-fils époux de Marie de Thil, un accord, qu’elle fera avaliser plus tard par le parlement de Paris, donnant à ces trois enfants des rentes viagères ou des terres en usufruit, leur ouvrant la possibilité de s’établir et se marier, ce qui eut lieu.[5]

En 1345 ses deux aînés, Guichard et Guillaume de Beaujeu, nés en 1325, ont vingt ans ; le Bâtard a treize ans et se trouve sans doute à la cour d’Edouard 1er de Beaujeu. Par ailleurs Marie de Thil a donné le jour à un fils deux ans plus tôt et est en capacité de gérer les affaires du Beaujolais pendant que son mari va guerroyer au loin.
Jeanne n’est plus indispensable et elle peut donc suivre, accompagnée de ses deux derniers enfants, son second mari à Thil.

Après l’ouverture du testament de Guichard de Beaujeu et l’établissement de ses enfants, Jeanne a si bien disparu du Beaujolais que certaines chroniques l’ont dite décédée à cette époque. Les évènements que nous allons décrire montrent qu’elle avait suivi son époux au château de Thil et qu’elle y restera en compagnie de celui-ci et de ses deux derniers enfants. Le connétable avait fait restaurer avec soin son château de Thil pour y emmener sa nouvelle épouse. De larges fenêtres cintrées ouvertes sur des horizons lointains, des cheminées monumentales, des cuisines aménagées pour cuire à la broche bœufs, moutons, ou volailles, des lieux d’aisance nombreux, devaient rendre cette demeure saine et agréable à vivre.

La fondation d’une collégiale, destinée à recevoir les tombes du connétable et de sa famille, tandis qu’un collège de chanoine priait pour leur obtenir le ciel, mettait la dernière touche à un tableau de grand seigneur Bourguignon.

Les nobles de l’époque passaient leur vie sur les routes et sa résidence à Thil n’empêchera pas Jeanne de revenir régulièrement dans le Beaujolais au château de Montmelas. Un second mariage entraîne en principe la reprise par la famille de l’époux du douaire consenti à une veuve.  Mais Jeanne avait gardé ses douaires en contrepartie de Semur-en-Brionnais qu’elle avait apporté en dot lors de son mariage et des cinq enfants qu’elle avait donnés à Guichard le Grand.



[1] Ernest Petit : “ Histoire des ducs de Bourgogne “ tome 8

[2]Duchesne, ouvrage cité. Voir “ Note“ en fin de chapitre.

 [3]« Chroniques de Saint Denis Le premier volume des grandes chroniques de France selon ce qu’elles sont conservées en l’église de Saint Denis en France », publiées par Paulin Pâris  Ed.Techner, Paris 1836, page 1494

 

[4] Premier fils de la seconde épouse de Guichard le Grand.

[5] Ferdinand de La Roche de La Carelle : “ Histoire du Beaujolais “.

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