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CHAPITRE II

 Fiançailles Thil-Châteauvillain

Quelques années passent ainsi. La fille du connétable Jean de Thil et de Jeanne de Châteauvillain, veuve du sire de Beaujeu, va bientôt atteindre ses douze ans et il faut songer à la marier. C’est entre le vieux sire de Châteauvillain et le sire de Thil, connétable de Bourgogne, qu’un projet de mariage entre le fils du premier, âgé de près de vingt ans et la fille du connétable sera arrêté.

 Châteauvillain se situe en Champagne, aux confins du royaume de France, à proximité de l’archevêché de Langres. Les terres du sire de Châteauvillain s’étendent également en Bourgogne où il est seigneur de la terre et du fort d’Arc-en-Barrois, relevant du duc de Bourgogne.

Châteauvillain est une seigneurie de premier ordre dont le sire fait directement hommage au roi de France. La prestation de “ foi et hommage“ avait un sens précis : il s’agit d’un serment de fidélité absolue prêté par le vassal auprès de son suzerain, assorti d’une déclaration solennelle de le servir comme son homme, c’est-à-dire de le suivre à la guerre.  En cas de non-respect de ce serment, le suzerain avait la possibilité de confisquer purement et simplement le fief de son vassal félon. 

Ainsi que le voulait l’usage, Jean, sire de Châteauvillain et Jean, sire de Thil, ont été élevés à la cour du duc de Bourgogne, comme de jeunes seigneurs de l’âge du futur Eudes IV et de son frère aîné, Hugues V, décédé prématurément à vingt ans en 1315. Ils sont destinés à être investis des principales forteresses du duché et il est important que les liens d’amitié et de confiance se créent avec leur seigneur suzerain.  Ils jouiront effectivement de la confiance et de la considération d’Eudes IV puisqu’ils seront appelés, à la fin de leur vie, à contresigner son testament[1] et seront appelés ses cousins.


Codicile de Eudes Duc de Bourgogne, Comte d’Artois et de Bourgogne, par lequel il veut que Jeanne sa petite-fille qu’il avait instituée son héritière en 40000 livres ait telle part en portion qui lui peut appartenir suivant la coutume du Duché de Bourgogne. Donné à Rouvres le 10 de juin 1347. Scellé de son sceau et de celui de Jean Seigneur de Château Vilain et d’autre de Jean Seigneur de Thil son connétable de Bourgogne ses cousins. Cotte 22[2]

Nous avons dit en quoi la proposition du mariage du connétable Jean de Thil avec la jeune Jeanne de Châteauvillain est improbable et nous y reviendrons infra.

Mais peut-être le mariage de la fille du connétable Jean de Thil avec le jeune Jean de Châteauvillain a-t-il été remis plusieurs fois : Il fallait certainement de la musique pour fêter dignement une si belle alliance. Le temps du deuil, nous l’avons dit, dure une année entière et interdit la musique dans les noces. Jean de Châteauvillain, père du futur marié, serait mort vers 1354 et Jean de Thil semble avoir disparu l’année suivante. Par ailleurs l’épidémie de peste, qui a emporté en 1349 la reine de France et le duc de Bourgogne, a connu plusieurs vagues successives et il peut y avoir eu beaucoup d’autres raisons pour que ce mariage, qu’on peut supposer avoir été programmé pour 1353 ou 1354, ne l’ait pas encore été en avril 1356. 

 Le roi de France avait l’administration de la Bourgogne puisque la mort d’Eudes IV avait laissé pour héritier un petit-fils mineur dont la tutelle était finalement allée à Jean le Bon. La cour de Bourgogne était brillante et des fêtes continuelles y avaient lieu.

En 1355, l’enfant promise en mariage est devenue une jeune fille. Il est probable qu’elle se trouve à la cour de Bourgogne pour parfaire son éducation. Son père est mort ou mourant, sa mère occupée des soins à lui donner. Ils ne peuvent plus guère participer à la vie de la cour de Bourgogne. C’est sans doute à une personne de confiance, peut-être une cousine du côté maternel que Jeanne a confié sa fille.

Celle-ci, fleuretant avec le jeune Jean de Châteauvillain qui s’y trouve, jouit d’une très grande liberté, puisqu’elle est fiancée, donc engagée avec ce dernier.  Avant le dernier délai imposé par le deuil de son futur beau-père, Jean s’est sans doute permis, puisque ce mariage était décidé de façon certaine, de prendre un peu d’avance sur ses futures relations conjugales. Les fiançailles avaient à l’époque une valeur presque supérieure à celle du mariage et il était parfaitement admis que, si les deux époux sont libres de tout lien antérieur, leur mariage leur permet de légitimer un enfant conçu, sinon né, avant la cérémonie proprement dite.

 

NOTE

“Les fiançailles dans le rituel matrimonial de la noblesse française à la fin du Moyen Age“ : Geneviève Ribordy PUF “Revue Historique“ 2001
https://www.cairn.info/revue-historique-2001-4-page-885.htm

[…] Pour sa part, le monde germanique ne connaissait pas vraiment les fiançailles. Le terme desponsatio, proche de sponsalia, (fiançailles romaines) en usage du VIe au XIIe siècle, était surtout utilisé pour décrire la première des deux étapes du mariage germanique. […] Cette étape représentait davantage qu’une promesse de mariage ; elle constituait le premier geste fondateur de l’union matrimoniale. Accompagnée du versement d’une somme d’argent, la desponsatio créait un début de mariage. Elle impliquait le consentement au mariage et donnait à l’homme l’autorité sur sa femme. Ce n’est qu’ensuite, parfois après un intervalle très long, que le mariage était complété par la remise de la femme à son époux, le mariage consommé et la vie commune établie.

[…] Durant tout le haut Moyen Âge, le mariage par étape continua à dominer en théorie comme en pratique. Jusqu’au XIIe siècle, les canonistes n’utilisaient même pas l’expression sponsalia. Ils se référaient plutôt au terme équivoque de desponsatio, sans qu’il soit clair s’ils la considéraient comme la promesse d’un mariage futur ou la conclusion d’un accord matrimonial.

   […] C’est davantage au chapitre de la signification des fiançailles que la noblesse et l’Église ne s’accordent guère. Dans le droit canon, les fiançailles ne sont qu’une annonce de mariage alors que dans le modèle aristocratique, elles représentent une étape importante dans la conclusion du mariage : c’est une étape fondatrice inaugurant le processus matrimonial et menant directement aux épousailles.

 […] En honorant les fiançailles, les parties respectent les valeurs d’une société qui s’oppose à la révocation d’un contrat. […] L’’importance du serment explique même à lui seul l’importance des fiançailles. 

[…] Dans la pratique, les fiançailles ont un tel pouvoir fondateur que les chroniqueurs ont parfois bien du mal à distinguer un couple fiancé d’un autre dûment marié. Dans l’exemple de Catherine de Bourgogne cité plus haut, le Bourgeois de Paris écrit que « ledit Loys avoit ung filx, lequel avoit espousé une des filles audit duc de Bourgongne » […]Les deux enfants ne sont que fiancés mais les chroniqueurs comme le duc de Bourgogne traitent cette alliance comme un mariage accompli et qualifient la rupture de répudiation. 

   

[2] Peincédé, ouvrage cité.

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