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CHAPITRE V

Le Mas de la Fleur du Puy

 

Après la bataille de Poitiers qui a valu une fleur de lis aux armes du Bâtard de Thil, un autre évènement heureux va arriver à ce dernier. Il nous faut évoquer le testament du connétable Jean de Thil mort vers 1355. Ce testament a disparu, mais ce grand seigneur en a certainement rédigé un, car il s’agissait d’une obligation morale incontournable dans sa situation. Le connétable est habilité à faire un legs à son fils, Jean, Bâtard de Thil, sans que sa fille, Marie de Thil, veuve d’Edouard de Beaujeu, puisse élever de réclamations. Il va donc lui léguer, peut-être une terre en Bourgogne, peut-être une somme d’argent, en francs ou en florins.  Mais la vie du Bâtard de Thil est en Beaujolais où sont ses attaches. Si ce legs est constitué d’une terre, il faudra qu’elle soit vendue, sans doute par l’intermédiaire d’un banquier lombard. Peut-être Guillaume de Beaujeu, seigneur d’Amplepuy, qui semble avoir apprécié son demi-frère, compagnon de route dans son voyage de retour d’Ardres à Belleville, a-t-il facilité la liquidation d’un tel bien. 

 C’est donc ce legs qui va permettre au Bâtard de Thil, écuyer sans le sou jusque-là, d’acquérir un petit fief dont il sera investi par Antoine de Beaujeu. Ce sera la moitié du péage du port de Beauregard sur la Saône, en face de Villefranche, en Beaujolais d’Empire, d’une valeur de vingt francs de rente. [1]

On trouvera infra la preuve de cette affirmation.  

Ce n’est évidemment pas un hasard si ce péage dans la Dombes, important comme poste frontière entre le royaume de France et le Saint-Empire, est échu au Bâtard de Thil. Il fait partie de la famille de Beaujeu au sens large et les Beaujeu avaient tout intérêt à poster un des leurs pour surveiller un passage stratégique, comme le port de Beauregard.   

  Le legs de son père est suffisant pour permettre également au Bâtard de Thil d’acquérir, à proximité du péage du port de Beauregard, une terre susceptible de le faire vivre. Il y construit ou y achète un “Mas“, c’est à dire une ferme possédant les granges, écuries, étables ainsi que le matériel nécessaire à une existence en quasi autonomie. Le nom de cette propriété est venu jusqu’à nous grâce un document dont nous reparlerons, rédigé en 1786 par le dernier de Thy avant la Révolution : elle se nomme le “Mas de  la Fleur du Puy“[2].

Il est probable que Guillaume de Beaujeu a aidé à cette acquisition foncière en faveur d’un demi-frère avec lequel il s’entendait bien. 

Ce Mas est donc constitué d’une ou de plusieurs constructions, placées sur un petit domaine situé non loin du péage du port de Beauregard.

Il est nécessaire en effet que cette habitation se trouve à proximité du péage du port de Beauregard, puisque le Bâtard devait surveiller le port et en percevoir les péages. Or il n’est pas impossible aujourd’hui d’identifier ce domaine : il y a actuellement à Fareins, commune qui jouxte Beauregard, une rue qui part du bord de la Saône et qui monte sur un plateau.  Ce plateau domine la Saône d’une quarantaine de mètres. De ce plateau on a vue sur la rivière.

Cette rue s’appelle aujourd’hui encore le “ Chemin du Mas du Puits “.

A l’endroit de ce chemin où la pente se casse en arrivant sur le plateau, on voit une maison construite en “ adobe “, une sorte de pisé ; un peu plus loin, se trouve un pigeonnier en adobe également, qui semble très ancien.  Il y a beaucoup de pigeonniers à proximité, mais on sait que c’est le seul pigeonnier de la région à avoir été construit avant la Révolution.

Enfin un petit étang se trouve également à proximité du pigeonnier, dans ce qui pourrait avoir été une propriété plus importante que celle que l’on voit actuellement sur Google Earth.

Le mot “ puy “ signifie à cette époque une élévation de terrain. C’est d’ailleurs ce sens qu’ont le “Puy de Sancy “ et le “ Puy de Dôme “.  Tout ce pays parle le “Franco-Provençal “ aisément compréhensible actuellement.

Le verbe “ affleurer “ se trouve dans un texte d’architecture en 1397 et le terme “ à la fleur de “ est utilisé dans le sens de “ presque au niveau de “.

La propriété du bâtard de Thil pourrait donc avoir été un domaine situé à la rupture d'une pente, "affleurant" le plateau du "Puy" qui le domine. S'il a été nommé ainsi, c'est peut-être parce qu'il existait un autre "mas", plus haut, sur le plateau, le "Mas du Puy" et qu'il ne fallait pas le confondre avec le plus récent[3].

On peut même penser que c'est au moment de l'achat de cette terre et de l'édification de ce nouveau mat  qu'il a été ainsi nommé  pour le différencier du premier.


Carte de Cassini au XVIIIe siècle : on voit "Le Puis" plateau en haut d'une côte,
proche de la Saone et de Beauregard




Le Mas de la Fleur du Puy à Fareins, avec son pigeonnier et son étang,
probable demeure du Bâtard de Thil, après le legs de Jean, Sire de Thil

Ce mot “ à fleur de “ est un mot nouveau à la fin du XIVe siècle, mot qui aurait ainsi été utilisé au tout début de son acceptation. La dénomination du “Mas de la Fleur du Puy“ peut correspondre à un jeu de mot sur la belle situation de ce nouveau mas, puisque l’expression “ la fleur de “ signifie “ le meilleur “ de quelque chose.


Le Mas de la Fleur du Puy

L'existence d'un pigeonnier sur une terre non noble constituait un privilège ; c'était une marque de noblesse de celui qui la possédait. Les pigeons, outre leur chair  et leurs fientes appréciées comme engrais, avaient principalement une fonction de messagerie. Si on veut envoyer un message à quelqu'un qui possède également un pigeonnier, il suffit de commencer par échanger des pigeons. Ceux-ci reviendront au nid d'origine, porteurs du message que l'on veut envoyer, dès qu'ils seront sortis de leur cage.

Un pigeon vole à près de cent kilomètres à l'heure, plus ou moins vite en foction du vent qu'il rencontre et peut parcourir plusieurs centaines de kilomètres. C'est un moyen élégant et sûr de correspondre, connu depuis la nuit des temps.

L’étang que nous avons vu à proximité est artificiel. C’était un élément nécessaire dans une demeure d’un bon niveau social. L’Eglise demandait de faire maigre plus de cent jours par an et un vivier permettait de se nourrir en bon chrétien.   

 

Nous présenterons donc infra la preuve que le Bâtard de Thil possédait jusqu’en 1386 la moitié du péage du port de Beauregard[4].  Nous avons localisé “Le Puis“ sur la carte de Cassini à côté de Beauregard. Le texte de notre ancêtre en 1786, Philibert de Thy, nomme le “ Mas de la Fleur du Puy“ comme l’habitation de Noble Jean de Thil avant 1386.  

 On est donc en droit de supposer que “ le Mas de la Fleur du Puy “[5]se trouvait sur le “Chemin du Mas du Puits“ encore existant aujourd’hui, à l’endroit où Noble Jehan de Thil, damoiseau, a pu ériger un pigeonnier, marque de sa noblesse.

 Ce pigeonnier est de petites dimensions. Il ne doit pas faire plus de trois mètres de diamètre à l’intérieur et ne peut guère loger plus de quarante pigeons. Il fallait disposer d’au moins trente-six arpents pour avoir le droit d’y ériger un pigeonnier. Le Bâtard de Thil possédait donc au moins trente-six arpents de terres soit dix-huit hectares, sachant qu’un arpent était d’une dimension variable mais faisait à peu près un demi-hectare.

 

  Son père, le connétable de Bourgogne, lui avait laissé, comme c’était l’usage sans que ce soit une obligation, les moyens de vivre noblement, c’est-à-dire sans travailler. Ce Mas lui donnait de quoi vivre quand il revenait de ses campagnes à la suite des sires de Beaujeu, mais pas de quoi fonder une famille. 

On remarque qu’au temps où Jeanne était douairière de Montmelas, toute la famille des Beaujeu et apparentés était regroupée dans un périmètre relativement étroit : Montmelas, à l’ouest de la Saône, est à dix kilomètres de Beauregard, Pouilly-le-Châtel[6], résidence d’Antoine, sire de Beaujeu,  en est à cinq, et Montmerle, résidence des Beaujeu, un peu au nord de Beauregard, à une distance équivalente. Le Mas de la Fleur du Puits du Bâtard de Thil s’inscrit alors dans une même logique de rapprochement familial. Celui-ci a la possibilité d’aller en peu de temps à cheval voir sa mère et de garder avec elle des relations suivies.

Après ces acquisitions, le bâtard de Thil va continuer à suivre Guillaume de Beaujeu, puis le moment venu, Antoine de Beaujeu, le fils d'Edouard Ier et Marie de Thil.  Antoine servira le roi de France avec Du Guesclin  durant plusieurs années. Il mourra prématurément, sans descendance,  à Montpellier en 1373. 

C'est son cousin  Edouard II de Beaujeu, fils de Guichard  mort à Poitiers, qui sera son successeur.  Le Bâtard de Thil s'était résigné à rester écuyer et à ne pas se marier ni avoir d'enfants qu'il ne pourrait élever noblement. Il n'est pas en possession d'un fief suffisant pour prétendre épouser une noble demoiselle. Cependant, bien avant la mort d'Antoine, Jeanne, sa mère, lui a demandé de participer à une action secrète au service du roi, ce qui va changer le cours de son destin.


[1]Recueil" de Peincédé, numérisé par les Archives de Côte d'Or. (Peincédé, T.20, p. 216), p.222 sur le site des Archives Départementales de la Côte d’Or. www.archives.cotedor.fr/jahia/...fr/.../3792 

[2] C.f. La “Généalogie“ de Philibert en 1786, voir infra.

[3] Il existe encore aujourd’hui, en haut du chemin du Mas du Puits, une construction récente qui s’appelle “ Le Mas du Puits “.

[5] Ainsi nommé dans la “Généalogie“ de Philibert, en 1786.   Et apparenté
[6]Actuellement disparu, à l’emplacement de Denicé aujourd’hui.

 


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