CHAPITRE X Cervole dans les filets Jeanne, dame de Thil et
de Montmelas |
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Durant un certain temps, le duc de
Bourgogne et ses alliées, la dame de Thil et la dame de Châteauvillain, n’ont
pas eu l’occasion d’agir. Le roi et le pape avaient auparavant tenté à plusieurs
reprises d’organiser divers projets de croisade, dont un des buts était
certainement d’envoyer les routiers hors de France, mais ces projets n’avaient
pas abouti. Après l’échec d’un nouveau projet de croisade vers la Hongrie, les
Routiers se répandent en Lorraine, en Champagne et en Franche-Comté durant
l’été 1365. C’est Marguerite de France, comtesse de Flandres qui a hérité de la
Franche-Comté après le décès de Philippe de Rouvres. En décembre 1365, un traité entérine
l’évacuation de la Franche-Comté par les Routiers qui demandent vingt-et-un
mille florins pour quitter le pays. Cervole, prêteur sur gage à l’occasion, a
prêté cinq mille florins à Marguerite de France, comtesse de Bourgogne, pour
l’aider à libérer la Franche-Comté. Il a demandé deux forts du Jura en gage de
ce prêt ; ces forts sont appelés à jouer un rôle dans la suite de cette
histoire et resteront occupés par des hommes de Cervole jusqu’au paiement de
cette dette. Les Routiers quittant la Franche-Comté se sont répandus dans le
Mâconnais. Le
comte de Savoie, Amédée VI, propose alors au Pape et au roi de France une
croisade contre les Turcs qui menacent Constantinople. Il s’agira de passer les
Alpes et d’aller embarquer à Venise pour atteindre la Turquie. Cervole donne
son accord et les Compagnies de Routiers commencent un mouvement depuis la
Champagne et l’Autunois pour rejoindre vers Mâcon celles venues de
Franche-Comté. A partir du début d’avril 1366, elles sont massées entre Tournus
et Anse au nord de Lyon. C’est
quelques semaines plus tard que l’on sait de façon certaine que Cervole a le
projet d’utiliser le port de Villefranche en face de Beauregard en Dombes pour
traverser la Saône en direction des cols des Alpes. Il s’y trouve en effet la
batellerie nécessaire pour le passage du corps principal de ses troupes et le
débarquement en Bresse. La date de l’opération est fixée : ce sera entre
le 18 et le 25 mai qu’aura lieu ce passage des troupes réunies à
Villefranche-sur-Saône[1]. Cervole n’a pas demandé leur avis à ses
Compagnies de Routiers et un vent de fronde se lève parmi eux : ils n’ont
aucune envie de quitter la France où ils se trouvent très bien et certaines
Compagnies menacent déjà de faire mouvement inverse vers le nord et l’Autunois. Cervole néglige ces murmures. Il va donc être
amené à passer, de façon certaine, une semaine dans le Beaujolais à côté de
Villefranche. Jeanne, Dame de Thil, est toujours en possession du château de
Montmelas, le douaire que lui avait constitué son premier mari, Guichard de
Beaujeu. Ce douaire se trouve à quelques kilomètres de Villefranche et toute la
famille de Jeanne est regroupée à proximité. Comme nous l’avons vu, son fils,
Jean bâtard de Thil, habite à proximité du port de Beauregard[2] par
lequel Cervole passera obligatoirement.
Ce n’est sans doute pas par hasard que Cervole
a été amené à décider de faire passer une partie de ses troupes par
Villefranche. Le projet de se débarrasser de Cervole est toujours d’actualité
et les conjurés savent maintenant, peut-être parce qu’ils ont fait le
nécessaire dans ce but, que Cervole sera bloqué entre le 18 et le 25 mai 1366
dans les alentours de Villefranche. Ses troupes sont en marche pour s’y
regrouper en attendant de traverser la Saône. Vraisemblablement un campement
est établi près de Gleizé. En effet la rumeur dira que c’est près de Gleizé que
Cervole a été tué par des gens de sa Route à la suite d’une querelle après
boire. En fait on n’a jamais retrouvé son corps et on
ne sait, officiellement, pas comment il est mort. Il a disparu près de Gleizé
le 25 mai 1366. Sans le corps, il n’y a ni obsèques ni enquête de police. Si,
dès le lendemain, circule la rumeur de sa mort, c’est sans doute parce que
certains le savent et ont su en faire répandre le bruit. Ce qui est certain, c’est que Cervole a disparu
sur un territoire entièrement contrôlé par la Dame de Thil. Si ses troupes
étaient cantonnées près de Gleizé, à moins d’un kilomètre du château de
Pouilly-le-Chatel, qui est la résidence des Sires de Beaujeu, c’est parce qu’il
a été invité ou tout au moins incité à s’installer là. Par ailleurs, depuis que
Cervole est Seigneur de Chateauvillain par son mariage avec la Dame de
Chateauvillain, il est un grand seigneur et il a donc forcément, selon les
règles de l’hospitalité, été invité à loger à Pouilly-le-Chatel chez Antoine,
Sire de Beaujeu ; à moins que Jeanne, alias la Dame de Thil, alias la Dame
de Montmelas, l’ait invité à loger chez elle au château de Montmelas en lui
laissant le champ libre. Elle est en effet partie s’installer momentanément au
château de Thil pendant cette période. Nous avons dit que Jeanne a habité pendant
seize ans à Pouilly-le-Chatel en tant que Dame de Beaujeu, épouse de Guichard
le Grand. Antoine est le fils de Marie de Thil et d’Edouard 1er de
Beaujeu décédés respectivement en 1359 et 1351 ; en 1366 il n’a que 23 ans
et est célibataire ; il apparait donc probable que Jeanne, veuve de Jean
de Thil depuis 1355, femme d’expérience et respectée, joue un rôle important
dans la gestion du Beaujolais, surtout depuis la mort de Marie. Il faut enfin
noter que son fils, Jean Bâtard de Thil, est propriétaire pour moitié du péage
du Port de Beauregard par où Cervole doit faire passer ses troupes et qu’il
habite le Mas de la Fleur du Puy, une propriété située à proximité sur la rive
gauche de la Saône donc sur une terre d’Empire. Cervole et ses troupes sont donc installés sur un territoire entièrement contrôlé par la Dame de Thil. Par ailleurs, il faut forcément qu’il prenne contact avec Jean Bâtard de Thil pour organiser le passage de ses troupes sur la Saône.
Bref
Cervole est pris dans les mailles du filet de la Dame de Thil. C'est un
homme rusé et méfiant ; pour l'assassiner et faire disparaitre son
corps il fallait forcément lui faire baisser sa garde. On imagine qu'il
a donc dû être particilèrement bien reçu dans le Beaujolais.
Antoine de Beaujeu aimait beaucoup les fêtes ; il en a peut-être
organisé une en son honneur. On peut imaginer aussi que Jean, Bâtard de
Thil, a pu inviter Cervole à s'abriter et à se reposer dans son Mas de
la Fleur du Puy ; lequel était idéalement placé pour surveiller le
passage des troupes de ce dernier outre-Saône. Le décor du complot est planté et nous savons
quel a été son dénouement. Mais, pour en connaître les rouages, voyons ce que
fait la Dame de Thil dans sa forteresse de Thil dont Cervole est lui-même baillistre. Rappelons que le baillistre assure la garde et la défense
d’une forteresse appartenant à un mineur et que ce mineur est Johannis de
Thillio.
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