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CHAPITRE V

Johannis de Tillio, héritier de Thil

Cependant les projets n’aboutissent pas toujours. Le fils légitime de Jeanne et du connétable, cet héritier tant attendu, va disparaître. On ne peut que supposer la date approximative à laquelle le drame s’est produit, mais le fait est certain. Au moment où ce jeune seigneur aurait dû, entre seize et vingt ans, prêter hommage à son seigneur suzerain, aucun hommage n’a été prêté par un sire de Thil et aucun héritier majeur de Jean, sire de Thil, n’est mentionné dans les chroniques à cette époque.

 Nous avons dit que la dame de Thil était demeurée à Montmelas après la mort du connétable. L’héritier du connétable, le jeune Jean de Thil, né en 1345, est sans doute “nourri“, à la cour de Bourgogne, en compagnie de l’héritier du duché de Bourgogne, Philippe de Rouvres, né en 1346 et d’autres jeunes nobles de leur âge.

Philippe de Bourgogne a été marié à onze ans par l'évêque de Tournai à Saint-Vaast le 14 mai 1357 avec Marguerite de Flandres âgée de sept ans. En 1361, il approche de sa seizième année et il est temps qu’il aille chercher son épouse en Flandres. Une escorte ducale avec le duc Philippe, se rend en mars 1361 en Artois.

Mais une autre raison pousse le jeune duc à se déplacer en Artois et celle-ci est financière.

Débarqué à l’automne 1359 à Calais et y ayant réuni une armée, le roi d’Angleterre, Edouard III avait échoué à se faire sacrer roi de France à Reims. Contournant Paris par l’Est, ses troupes s’étaient répandues en Bourgogne jusqu’à Flavigny et à Avallon.

 Pour mettre fin aux exactions des troupes du roi d’Angleterre, les Bourguignons avaient conclu un traité séparé. Le traité de Guillon,  en mars 1360, avait prévu le versement par les Bourguignons de 200 000 “moutons d’or“ pour obtenir le départ des Anglais. Ce versement devait se faire à raison de “40 000 “ moutons d’or tous les six mois en cinq échéances. Cependant la Bourgogne peine à réunir cette somme. La peste fait des ravages encore plus lourds que ceux de la Grande Peste de 1348, les campagnes sont dépeuplées, les Anglais puis les Grandes Compagnies ont ruiné le pays et Edouard III refuse d’accorder des sursis de paiement.

 Philippe va recevoir des subsides importants de l’Artois, insuffisants cependant pour s’acquitter des 40 000 moutons d’or dus à Edouard III lors du troisième terme, celui de la Saint Jean, en septembre 1361. Une réunion des Trois Etats de Bourgogne sera prévue début septembre 1361 à Aignay pour obtenir de l’argent des délégués mais la plupart de ceux-ci sont absents pour cause de maladie, c’est-à-dire de la peste. Une seconde réunion prévue ensuite fin septembre est reportée et une troisième réunion sera programmée à Rouvres pour la fin d’octobre et le début de novembre.

 La cour ducale, avec la duchesse Marguerite, a quitté l’Artois fin juillet pour se rendre en Bourgogne. Elle a traversé des territoires où l'épidémie qui sévit a pris des proportions importantes et fait des ravages. En septembre, afin de les protéger de la “mortalité“, Marguerite est à Aisay et le duc à Gray. Fin octobre Philippe et Marguerite se retrouvent à  Rouvres où se tient une affluence de députés convoqués aux réunions des Trois-États, ce qui entraîne une recrudescence de l'épidémie dans cette localité[1].

Si le jeune Jean de Thil est nourri à la cour du duc de Bourgogne, il se trouve avec la cour au château de Rouvres à la fin d’octobre 1361. Or une catastrophe se produit à ce moment. Atteint de la peste, Philippe de Rouvres dicte son testament le 10 novembre 1361 et décède dix jours plus tard.

 La peste est une maladie contagieuse et le jeune duc de Bourgogne, né en 1346, vivait en compagnie de jeunes seigneurs de son âge, comme nous l’avons dit. L’entourage du duc de Bourgogne va se trouver en grand nombre victime de la peste durant l’automne de l’année 1361. Je me demande donc si l’héritier du connétable, ne serait pas mort de la peste à cette époque. La peste bubonique est marquée par l’apparition d’un “charbon pesteux“, soit une plaque noire au point d’inoculation par la puce. Au bout de deux ou trois jours, le ganglion correspondant devient dur et douloureux ; c’est le “ bubon“ qui, au bout de quelques jours, diffuse les bacilles dans le sang. Ces précisions pour indiquer que l’héritier du connétable, dès qu’il a vu sur lui l’existence d’un “charbon pesteux“ a certainement obtenu l’autorisation de quitter immédiatement la cour de Bourgogne. Il serait décédé à Montmelas ou sur le trajet qui y mène.

Ni cette mort ni celle du connétable Jean de Thil ne sont mentionnées nulle part en Bourgogne, ni d’ailleurs en Beaujolais. Ce silence pourrait résulter de l’existence d’une chapelle privée à l’intérieur du château de Montmelas avec un desservant qui aura enregistré tous ces évènements sur des registres disparus. Les désordres des guerres de religion au XVIe siècle peuvent en expliquer la disparition avant même que les généalogistes du XVIIe siècle n’entreprennent leurs recherches.

 

Jean, le fils héritier du connétable est mort, le connétable n’a plus de fils héritier légitime. Johannis de Tillio, fils du jeune Jean de Châteauvillain, le petit-fils du connétable et de Jeanne de Châteauvillain déclaré comme leur fils, est, lui, bien vivant. Ils s’appellent tous les deux Jean. S’il est courant à l’époque de voir dans une fratrie plusieurs enfants portant le même prénom, c’est le plus souvent en souvenir d’un fils décédé que l’on donne au suivant le nom de son aîné. Ce n’est pas le cas ici. Cependant si cet enfant est le fils de Jean de Châteauvillain et a été ondoyé sous ce prénom, cette anomalie s’explique...

  L’existence d’un “Jean de Thil“, fils légitime du connétable est attestée en 1345 et en août 1356. Nous avons induit l’existence de sa sœur pour les besoins de la logique. Cependant nous avons peut-être un écrit permettant de supposer que le connétable Jean de Thil avait eu une fille avec la dame de Montmelas. Le connétable a en effet procréé deux lignées : celle de Marie avec Agnès de Frôlois et celle des enfants qu’il a eus avec Jeanne. Un texte officiel de 1356 permet de supposer l’existence de plus d’un enfant dans cette seconde lignée.



 Nulle allusion n’est faite à une sœur du jeune Jean de Thil. Cependant, quand le bailli d’Auxois demande à Marie veuve d’Edouard de Beaujeu et à Jean de Thil fils mineur sous tutelle de sa mère, de répondre d'une dette du connétable, Guillaume de Jully s'adresse à deux familles : celle de Marie de Thil, veuve d’Edouard de Beaujeu, héritière pour moitié de son père, et celle issue du second mariage de Jean, sire de Thil. Ce texte suppose l’existence d’un testament du connétable qui aurait légué pour moitié les biens mobiliers qu’il laissait aux deux lignées venues de ses deux lits. Il n’est pas écrit dans ce document que Jean, fils mineur du connétable, doit cette somme pour moitié contrairement à sa demi-sœur Marie. Cette lignée différente de celle de Marie est soulignée ici par l’absence du mot “pour moitié“ en ce qui concerne le jeune Jean. Cela permet de supposer que l’autre moitié de l’héritage mobilier du connétable comporte plusieurs héritiers débiteurs de la dette, une sœur de ce mineur par exemple. 

Johannis de Tillio a été déclaré sur des registres paroissiaux, lors de son baptême en 1356, fils du connétable et de Jeanne de Châteauvillain. Si son pseudo frère aîné disparaît, il accède légitimement à la succession de son pseudo père. C’est effectivement ce qui va se passer et c’est Johannis, né en 1356, qui héritera de Thil.  Cela n’a pu se faire qu’avec l’aval du roi et celui du duc de Bourgogne qui est destiné à investir Johannis du fief de Thil quand il sera majeur.  Or ils connaissent fort bien l’histoire de Johannis et celle de ses parents. Tout se passe comme si le duc de Bourgogne et le roi avaient voulu effacer le drame de sa naissance et assurer au moins la seigneurie de Thil au fils de Jean de Châteauvillain.

 Mais il va devenir clair que le projet royal va bien au-delà de cette restitution partielle au fils de Jean de Châteauvillain de l’héritage qui aurait dû lui advenir.



[1] E. Petit, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, t. IX, p. 249.

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