Chapitre XIV La
revendication du nom de “Milly“ | |||
Le père de Philibert, Alexandre, avait un
frère cadet, nommé Claude-Louis de Thy, né vers 1692. Doté par sa mère, il
avait fait un beau mariage et rêvait d’une ascension sociale. Pour prétendre à
la haute noblesse, un grand nom est nécessaire. A
Villefranche, ou ailleurs, Claude-Louis a fait la connaissance du très vieux
François de Milly. Celui-ci était le dernier descendant de la famille de Milly,
qui s’était illustrée lors de la première croisade en 1097. Il avait perdu son
fils unique à la guerre, trente ans auparavant, et se désolait de ne pouvoir
transmettre ses parchemins familiaux à un mâle portant son nom. Claude-Louis capte la confiance de ce
vieillard sénile et lui affirme que le véritable nom de sa famille est celui de
“Milly“. Pour preuve, il lui présente les papiers de sa famille remaniés au
XVIIe siècle, nouvellement réécrits par ses soins, dans lesquels celle-ci serait
seigneur du fief nommé “Milly“ depuis le XIVe siècle. Il n’avait pas indiqué
bien sûr que ce n’était que depuis 1524 que la famille était seigneur de ce
petit fief, sans aucun rapport avec la famille de Milly. A la mort en 1728 du vieux François de Milly,
Claude-Louis hérite de ses titres et de ses parchemins. Aussitôt Claude-Louis en prend le nom,
enregistré au greffe du tribunal de Villefranche, en se faisant appeler
“ de Milly de Thy“. En 1750, Claude-Louis sait que son changement de
nom est fragile. Il veut qu’il soit authentifié. Il “ découvre“ donc une
copie, soi-disant exécutée au XVIIe siècle, d’un contrat de mariage, daté de
1461 et enregistré par un notaire. Ce document que l’on trouve dans l’“ Inventaire [1]“, dont nous allons parler, atteste
d’une filiation Milly en ligne masculine dont il descendrait directement. N°788 - 1461, 19 janvier – “ Contrat de
mariage de Messire Raymond de Milly avec Elisabeth de Thy ; led. Raymond
procédant de l’autorité de haut et puissant Sgr Mgr Jacques de Milly, son père,
chevalier de l’Ordre du Roi. Dans led. Contrat intervient autre Jacques de
Milly, grand maître de l’Ile de Rhodes, qui fait un présent aud. Raymond, son
neveu. “ Charrier, notaire – (Berzé, Invent. XVIIème s. - Ce contrat est
visé dans les preuves du 12 août 1750.) L’état civil des mariés n’est pas précisé et le
texte du contrat est lui-même un peu tiré par les cheveux. Ce document sera produit le 12 août 1750 à
l’occasion de l’entrée de la fille de Claude-Louis de Thy de Milly[2]chez
les dames du très noble Prieuré de Marcigny. La cause n’est pas de première importance, mais le
contrat de mariage sera dûment visé par un juge[3]. La renonciation à son nom d’un Raymond de Milly
introuvable, pour cause des grands biens que lui aurait apportés sa femme,
semble sortie tout droit d’un roman. C’est effectivement la version que Claude-Louis transmet à La
Chesnaye des Bois, grand spécialiste des généalogies complaisantes qui la
transcrit telle quelle à la lettre “ M “ pour Milly dans son “ Dictionnaire
des Généalogies “ paru en 1757. Le fils issu de ce mariage
se serait donc appelé Guillaume de Thy bien qu’il ait soi-disant été fils de
Raymond de Milly. C’est Raymond de Milly qui, “ en souvenir de son
nom “, aurait donné le nom de Milly à une de ses terres. On pourra
voir dans l’Annexes n°5 que, durant
plus d’un siècle, la famille de Thy a baptisé les terres apportées par leurs
femmes du nom de Milly, alors que la terre de Milly avait été vendue par Guyot
de Thil, après 1666. Inutile de dire que, dès que l’on se penche sur les
textes, le faux paraît évident. L’étude de la filiation de Guillaume II de Thy
montre qu’il n’est nullement le fils de Raymond de Milly, mais celui de
François de Thy, décédé en 1507, seigneur d’Avenas et de la Douze, et de Claude
de Fougères. L’affirmation des “ grands biens “ de la famille de Thil
est sujette à caution lorsqu’on sait que la famille, ruinée, a perdu sa terre
d’Avenas en 1533. La Chesnaye des Bois, auteur prolifique et
nécessiteux reconnaît lui-même avoir prêté une oreille complaisante aux
généalogies que lui proposaient ses clients, toujours intéressés à se prévaloir
d’ancêtres illustres. “ Telle est la généalogie dressée d’après un
Mémoire de la famille. Mais nous devons ajouter que le plaisir de plaire à la
noblesse nous a fait accepter indifféremment tous les Mémoires envoyés,
comptant élaguer ou ajouter, dans la suite que nous faisons aujourd’hui. “
écrira-t-il lui-même à propos de l’une des nombreuses généalogies qu’il a
produites. Les renseignements qu’il donne donc sur ces deux
mariages entre un Milly et une de Thy, l’un entre un Richard de Milly et une
Halin de Thil, vers 1275, l’autre entre un Raymond de Milly et une Elisabeth de
Thil en 1461, mariages qui fonderaient la filiation Milly en ligne masculine
des Thy de Milly, sont donc à prendre avec des pincettes. La première production du contrat de mariage daté de 1461 est réalisée en 1750[4], à l'initiative de Claude-Louis, qui l'a "trouvé", on ne sait où, par le plus grand des hasards. Claude-Louis de Thy de Milly, dont on ne connaît pas la date de décès, semble avoir envoyé à La Chesnaye des Bois un mémoire sur le sujet, sachant que celui-acceptait indifféremment tous les Mémoires qui lui étaient envoyés, contre espèces sonnantes et trébuchantes, cela va sans dire. La première édition du "Dictionnaire des généalogies" a lieu, nous l’avons dit, en 1757. ![]() Au XVIIIe siècle, le fils de Claude-Louis de
Milly de Thy, Nicolas Christiern, avait fait toute sa carrière, militaire
d’abord, puis plus ou moins scientifique, sous le nom de “ de
Milly “. Ce nom lui avait effectivement permis un avancement rapide et une
considération certaine. Au moment où Philibert, en 1784, avait voulu faire ses
preuves pour “ monter dans les
carrosses du roi “, Nicolas Christiern s’était joint à sa démarche.
Mais Chérin, le généalogiste royal n’avait accédé à sa demande qu’en entérinant
le nom de “ de Thy de Milly “ et non pas “ de Milly de
Thy “. Cela ne signifie pas une ascendance avec la famille des Croisades,
mais la possession d’une terre nommée “Milly. “ Nicolas-Christiern va mourir
peu de temps après, seul dans son laboratoire à Chaillot, à cinquante-quatre
ans. Il avait rédigé son testament quinze jours auparavant et jouissait d’une
santé parfaite. On murmura qu’il avait été empoisonné par les produits
chimiques qu’il maniait et il fut enterré à l’église. Le frère puîné de Nicolas-Christiern va
hériter du droit conféré à son frère de “ monter dans les carrosse du
roi“. Il ne sait rien de l’histoire familiale et ne pourra donc rien en
transmettre. Au
XIXe siècle, la famille de Thy de Milly, descendant du second fils de
Claude-Louis de Thy de Milly, habitait le château de Berzé-le-Châtel. C’est une
forteresse féodale dont les ruines avaient été achetées en 1817 par le
beau-père d’un de Thy de Milly. La famille, fort riche, tenait une position
dominante en Beaujolais et avait gardé ce nom de Thy de Milly. En 1886, son descendant Gabriel de Thy de
Milly, héritier de Berzé-le-Châtel, a voulu faire traduire et classer les
parchemins “ Milly “ reçus en 1728 par son aïeul. Il possédait
également la copie des documents familiaux “de Thy“, prêtés par Philibert à son
cousin germain Nicolas-Christiern de Thy de Milly pour la présentation à la
Cour. Il s’est adressé à Oscar de Poli, président du
“Conseil héraldique de France“, qui,
en 1888, a terminé l’“ Inventaire
des titres de la Maison de Milly “. Poli décerne d’ailleurs
généreusement de titre de “comte de Milly“ à son commanditaire. Le livre
contient l’affirmation, parfaitement tendancieuse, des droits des de Thy de
Milly au nom de Milly tout seul. Un généalogiste ne doit pas décevoir celui qui
finance un ouvrage sur sa famille. Gabriel de Thy de Milly est mort l’année
même de la parution de cet ouvrage alors qu’il avait 47 ans. Peut-être a-t-il
retracé avec un papier et un crayon, la généalogie de sa famille et réagi comme
Nicolas-Christiern en 1784. Ce livre affirme donc que la famille de Thy
descend par les mâles de l’illustre Maison de Milly avec pour preuve le contrat
de mariage de 1461 entre un Milly et une de Thy. Nous savons que Chérin en 1784
avait récusé ce contrat de mariage et la descendance supposée qui en aurait
résulté, mais la famille n’avait pas pris garde à cette restriction malvenue. [1]
“Inventaire des titres de la Maison de Milly“ par Oscar de Poli, 1888 [2] Le prieuré de Marcigny
en Saône et Loire reçut au cours de son histoire des membres de grandes
familles d'Europe, notamment Adèle de Blois fille de Guillaume le Conquérant qui
y mourut en 1137, Raingarde de Semur, qui y mourut en 1134. La prieure
accueillit également le Cardinal de Richelieu, Premier ministre de Louis XIII,
de passage à Marcigny le 12 septembre1642. La ville continua de prospérer
jusqu'à la Révolution grâce à son prieuré, lequel fut alors fermé puis vendu
comme biens nationaux, ce qui entraîna la destruction de la majorité de ses
bâtiments [3]
“ Inventaire “ :.N° 1025 ; 1750, 12 août. [4]Item n°1025
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