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CHAPITRE III

Noble Jehan de Thil, damoiseau

Nous n’avons évidemment que peu d’informations sur la vie de Jean, Bâtard de Thil dont nous avons suggéré qu’il est né en 1333 à Montmelas.  

A cette époque, le royaume est calme et les calamités qui vont s’abattre sur lui ne sont pas encore d’actualité. Philippe VI de Valois est roi depuis 1328 et vient de gagner une bataille contre les Flamands à Cassel.

Jean, Bâtard de Thil, est donc noble, mais n’appartient pas à la haute noblesse et sa destinée sera de suivre, comme écuyer, le sire de Beaujeu. Il a été élevé au milieu de ses frères, a appris à parler français, à se conduire en société, à lire et à écrire, à monter à cheval et sans doute l’art de la joute tout comme ses frères utérins. Il bénéficie ainsi d’une éducation complète, mais il est fort pauvre : Jean, sire de Thil, ne peut donner à cet enfant que quelques miettes de sa fortune qui est destinée à sa fille, Marie et/ou à un fils légitime ; quant à sa mère, elle peut seulement le pourvoir de recommandations et des bonnes manières propres à un noble. Jeanne, en dehors de ses douaires[1], viagers par définition, n’a rien en propre car sa dot, Semur-en-Brionnais, appartient aux sires de Beaujeu.

Nous savons que le Bâtard de Thil n’est pas entré dans les ordres. Il est donc forcément devenu l’un des écuyers du sire de Beaujeu, son suzerain. Nous avons dit que le Bâtard de Thil, dès ses treize ou quatorze ans, suivra dans leurs campagnes les sires de Beaujeu, puis fera partie des nombreux écuyers qui les escortent dans leurs guerres au service du roi de France. C’est ainsi sans doute qu’il se trouvera, en tant que page, avec Edouard 1er de Beaujeu, à Crécy en 1346 où ce sont cinquante-six écuyers qui accompagnent leur seigneur. La grande peste de 1348 ne l’atteindra pas : un écuyer couche le plus souvent auprès de ses chevaux. Or la peste se transmet par les rats et leurs puces, mais les chevaux n’ont pas de puces.

 Le pays de France est, dès cette époque, infesté par les Routiers qui deviendront par la suite la plaie du royaume. Ceux-ci sont des ramassis d’hommes armés de toutes conditions, gueux ou cadets de familles, pilleurs et violeurs, aux ordres de capitaines, petits ou grands, qui les soldent et auxquels seuls ils obéissent. Leurs plus grands capitaines sont recrutés et payés par les rois de France et d’Angleterre pour soutenir leurs guerres.  

Lorsqu’on reprend, avec Froissart, les noms des capitaines de Routiers. On s’aperçoit que beaucoup sont des bâtards [2]: “ […]  Le Bourcq Camus, Le Bourcq de l’Espare, Le Bourcq de Breteuil, Le Bourcq Campagne, Le Bourcq d’Armagnac, Le Bourcq de Périgord, Le Bourcq Aussain, Le Bourcq Monsac […] “  Le mot Bourcq désigne un bâtard en gascon.

Ces capitaines nommés Le Bourcq de… sont donc des bâtards de noble, élevés pour la guerre ; éduqués et sans le sou, ils sont surreprésentés parmi les chefs des Routiers. Tel est le sort qui attendrait le bâtard de Thil s’il cessait de servir son seigneur pour tenter la fortune et choisir une carrière de Routier. 

Un écuyer suit son seigneur dans toutes ses expéditions. On peut donc, en reprenant les guerres menées par les Beaujeu, au service du roi de France ou autrement, avoir quelques idées sur la vie du Bâtard de Thil. Nous avons vu qu’à la mort de Guichard le Grand, en 1331, c’est son fils Edouard, né en 1316 de son second mariage, qui est devenu à quinze ans seigneur du Beaujolais.

Sans doute le bâtard de Thil a-t-il suivi Edouard Ier, maréchal de France, dans sa courte expédition en Terre Sainte en 1350[3], en Morée ( fig. 1) et à Negreponte ( fig. 2) sur l’ile d’Eubée, mais les preuves manquent.


Ce dernier était, dit un chroniqueur du temps, “ très dévot à la Sainte Vierge… il mena quantité de gentilshommes au voyage d’Outre-mer et batailla longtemps contre ceux qui tenaient la loi de Mahomet “.

 Nous n’en aurons pas la confirmation, mais une expérience maritime représentait une expérience peu banale à l’époque pour un écuyer.

Jean, Bâtard de Thil, se trouvera sans doute à Ardres, dans les Flandres, au moment de la mort d’Edouard 1er de Beaujeu en 1351, au service du roi de France, Jean le Bon.  Edouard y a battu les Anglais, mais perdra la vie d’une manière aussi folle qu’héroïque, se lançant quasiment seul contre l’ennemi alors qu’il avait gagné la partie. 

 Guichard de Beaujeu est le premier fils né, avec un frère jumeau,  du troisième mariage de Guichard, sire de Beaujeu, avec Jeanne de Châteauvillain. Il était présent à Ardres et ramènera le corps d’Edouard à Belleville où se trouve la nécropole des Beaujeu, en compagnie sans doute du bâtard de Thil. Edouard Ier avait eu un fils, Antoine de Beaujeu,  de son mariage avec Marie de Thil. Mais ce fils n’a que neuf ans à la mort de son père. Ce sera donc Guichard, fils aîné de Jeanne, âgé alors de vingt-sept ans, qui prendra la tête des troupes du Beaujolais jusqu’à la majorité de son neveu.   

Guichard de Beaujeu perdra la vie à la bataille de Poitiers en 1356 et il est donc quasiment certain que le Bâtard de Thil, écuyer du sire de Beaujeu, était présent à cette bataille. Nous reviendrons sur cet épisode dans le chapitre suivant.

Nous verrons ensuite comment le Bâtard de Thil sera d’abord acquéreur d’un très petit fief, puis dix ans plus tard sera investi du fief d’Avenas, près de Cluny, ce qui lui permettra de se marier.

 Il continue sans doute à suivre, durant un certain temps, Antoine, sire de Beaujeu, fils d’Edouard 1er dans ses expéditions en Normandie et dans le Limousin. On ne saura pas s’il l’a suivi en Espagne.  La mort d’Antoine en 1373 à Montpellier marque apparemment sa retraite et une installation plus sédentaire sur sa terre.

Guichard de Beaujeu, mort à Poitiers, avait donc un frère jumeau nommé Guillaume. Ce dernier avait reçu, dans le testament de son père, la seigneurie d’Amplepuy  dont il avait fait sa résidence.

Le Bâtard de Thil, depuis son domaine d’Avenas, entretenait des liens de voisinage et d’amitié avec Guillaume de Beaujeu, seigneur d’Amplepuy, son demi-frère.
Nous le savons car le Bâtard de Thil est  cité par un historien Bourguignon qui l’évoque  dans une chronique de Vic-sous-Thil écrite au XIXe siècle : un jeune seigneur du Brouillard, village situé au pied  de la colline de Thil, près de Vic-sous-Thil, est le héros d’une histoire locale qui a défrayé la chronique, en 1373 [4] : ce jeune seigneur  a enlevé une jeune fille noble. Il l’emmène avec lui et se réfugie à Amplepuy, auprès de Guilaume de Beaujeu. Le texte indique que “ Guillaume de Beaujeu, seigneur d’Amplepuy, demande son conseil au “Bâtard de Thil “ au sujet la conduite à tenir devant  cet enlèvement “.  

 

Ce texte, malheureusement sans références, montre que le Bâtard de Thil était à cette date connu et considéré comme un homme sage, expérimenté et de bon conseil et que les deux hommes entretenaient des relations amicales et suivies. 

 

 A partir de 1386, le Bâtard de Thil sera seigneur non seulement d’Avenas mais encore de La Douze, héritage de son beau-père.

Après cette date, nous ne savons rien de lui, si ce n’est que sa succession était ouverte depuis quelque temps et faisait l’objet d’un procès, finalement jugé en 1394, entre Simon de Thil et Edouard II de Beaujeu, seigneur du Beaujolais, fils de Guichard de Beaujeu mort à Poitiers et petit-fils de Jeanne de Châteauvillain. 

Les chapitres suivants présenteront comme avérés des épisodes hautement vraisemblables de la vie du Bâtard de Thil. Chacun sera libre de se faire une opinion.

 



 

[2] Froissart “  Grandes chroniques de France “, tome VI, p. 354

[3] Jean-Marie de La Mûre : “Histoire des comtes de Forez“

[4] “ Vic-sous-Thil, la collégiale et le château de Thil “, Jean-Charles Prudhon , Châtillon-sur-Seine 1879, p.54

 

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