CHAPITRE I
Jeanne de Châteauvillain Dame de Beaujeu |
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Mon histoire commence par celle d’une
dame du XIVe siècle qui s’appelle Jeanne de Châteauvillain. Il ne s’agit pas de
Jeanne de Châteauvillain, dame de Châteauvillain en Champagne, évoquée par les
historiens du XVIIe siècle. Cette dernière est plus jeune d’une génération que
notre Jeanne. Celle dont nous allons parler est la fille aînée de Jean de
Châteauvillain, sire de Luzy, Uchon, Bourbon-Lancy et Semur-en-Brionnais. Jeanne,
fille du sire de Luzy, vient au monde en 1305, dans une famille de la haute noblesse
que nous présenterons un peu plus tard. Son père, Jean de Châteauvillain, sire
de Luzy, fait hommage de ses terres au duc de Bourgogne. Pour l’instant, il
nous suffit de savoir que la mère de Jeanne, dont l’histoire ne nous a pas
livré le nom, est morte peu après sa naissance. Son père s’est remarié peu de
temps après avec la dernière sœur de Guichard, sire de Beaujeu, dont les terres
jouxtent les siennes. Jeanne
est mariée à douze ans, comme le voulait l’usage des grands. Son père l’a
donnée en mariage à Guichard le Grand, sire de Beaujeu, qui était déjà son
beau-frère. Des considérations financières ne sont sans doute pas étrangères à
cette décision. Guichard, déjà deux fois veuf, est père de quatre enfants. C’est peu de mois après avoir perdu sa deuxième femme que Guichard de Beaujeu épouse donc en troisièmes noces, le 25 novembre 1317, la fille du sire de Luzy. Guichard n’est plus tout jeune : sa fille aînée est plus âgée que sa troisième épouse et il a déjà un fils, Edouard né en 1316, appelé à hériter de la baronnie. Jeanne apporte en dot Semur-en-Brionnais sans doute en réponse à une exigence de Guichard de Beaujeu. Jeanne de Châteauvillain devient par ce mariage la dame de Beaujeu.
Dès le
haut Moyen Age, le Beaujolais est une baronnie puissante. Les seigneurs de
Beaujeu ont, au XIIIe siècle, étendu leur domaine au-delà de la Saône, sur une
partie de la Dombes, en face de Villefranche-sur-Saône. Cette terre sera dite
le Beaujolais “ d’Empire “ puisque soumise nominalement à l’autorité
de l’empereur du Saint-Empire-Romain-Germanique.
Guichard de Beaujeu est un chevalier
belliqueux et les guerres privées sont toujours à l’honneur. Celle qu’il livre
contre le Dauphiné se termine par une défaite à Varey en 1325 et l’obligation
de verser au vainqueur une rançon considérable. Le roi de France, dont Guichard
est un des vassaux les plus fidèles, s’interposera pour faire diminuer le
chiffre de cette rançon, mais les Beaujeu sont ruinés pour le reste du siècle
et le Beaujolais sera, en 1400, vendu au duc de Bourbon. Guichard de Beaujeu et Jeanne de Châteauvillain auront cinq enfants entre 1325 et 1330. Devenir la troisième épouse de Guichard signifie cependant que les propres enfants du couple n’auront pas vocation à devenir seigneur de Beaujeu, ni à être richement dotés. Les Beaujeu, tout comme Jeanne, appartiennent
à la plus haute noblesse du royaume. Six mois après son mariage, Jeanne sera
sollicitée pour devenir dame d’honneur de la future duchesse de Bourgogne. Celle-ci
est une princesse de sang royal puisqu’elle est la fille aînée du roi Philippe
V Le Long. Le 18 juin 1318 un grand mariage se célèbre
donc entre Jeanne de France âgée de onze ans et Eudes, duc de Bourgogne, âgé de
vingt-trois ans. Les dames d’honneur de la mariée sont Jeanne de
Châteauvillain, dame de Beaujeu, et Guillemette de Ray qui ont sensiblement le
même âge que la princesse. “ Les
fiancés firent leur entrée à Paris, la veille de la cérémonie. […] La mariée
portait ce jour-là des étoffes dorées de Lucques, des soies orientales de
camocat. Elle parut à la messe avec une robe de “ racas “ sur champ
azuré à poissons d’or, et le lendemain avait une robe de drap de Turquie à
fleurs de lys d’or. […]. Les dame de Beaujeu et Guillemette de Ray, ses futures
dames d’honneur, reçurent de la reine des pièces de camocas vermeil, également
aux couleurs ducales, pour faire des robes à trois garnement “.[1] Entre
1318 et 1331, Jeanne, dame de Beaujeu va suivre le duc et la duchesse de
Bourgogne dans tous leurs déplacements sans que ses grossesses rapprochées à
partir de 1325 fassent obstacle à cette vie de voyages ininterrompus. Des
nourrices s’occuperont de ses enfants… Le duc Eudes IV et la duchesse de Bourgogne,
suivis de leur cour à laquelle appartient Jean, sire de Thil, arpentent la
Bourgogne, recevant chaque jour à leur table leurs différents vassaux ainsi que
les notabilités de chacun des lieux dans lesquels ils passent. Ils se
rendent aussi volontiers, dans le même équipage, à Paris pour faire leur cour
au roi et à la reine. Le duc de
Bourgogne est le beau-frère de Philippe VI de Valois, devenu roi en 1328. Ce
roi avait en effet épousé la sœur d’Eudes IV. Le roi de France tient en haute
estime le duc de Bourgogne et prend pour conseillers plusieurs des seigneurs
qui l’entourent, dont Jean, sire de Thil. Les “Comptes
de l’hôtel de la duchesse de Bourgogne“,[2]
accessibles aux archives de la Côte d’Or, retracent les étapes journalières de
cette dernière. Ceux de l’année 1330 nous intéressent particulièrement. Mahaut
d’Artois, comtesse d’Artois et de Bourgogne[3], est
décédée cette année-là et Jeanne sa fille aînée, veuve de Philippe V le Long,
héritière de sa mère, meurt quelques jours plus tard. La duchesse de Bourgogne,
sa fille aînée, est l’héritière de l’Artois et de la Franche-Comté. Son époux Eudes IV, duc de Bourgogne, devient
donc seigneur de l’Artois et de la Comté de Bourgogne, soit la Franche-Comté.
Il va commencer par en faire hommage au roi de France. Le 27 mars de cette année-là, Eudes IV et
son épouse partent donc pour Paris avec leur suite, à laquelle appartiennent,
nous l’avons dit, Jeanne, dame de Beaujeu, dame d’honneur de la duchesse de
Bourgogne ainsi que Jean, sire de Thil, conseiller du roi et du duc de
Bourgogne. La cour
de Bourgogne tout entière va résider durant six mois à Paris, participant aux
fêtes qui y ont lieu, avant de partir, en septembre, prendre possession de
l’Artois. Tout au
long de ce périple à Paris puis en Artois, le duc et la duchesse sont bien sûr
suivis de tous les Bourguignons qui se transportent avec eux. Les cavalcades, les banquets, les cérémonies,
les spectacles et les danses qui accompagnent les “ joyeuses entrées “
dans les villes de l’Artois vont entraîner une suite ininterrompue de
réjouissances au cours desquelles Jean et Jeanne ont eu mille occasions de se
rencontrer et de sympathiser. [1] Ernest
Petit, “ Histoire des ducs de Bourgogne “, t. 7, p. 60 et suivantes. [2] Ernest
Petit, ouvrage cité [3] La
comtesse de Bourgogne est comtesse de la Franche-Comté.
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